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pas M. Christinat au pouvoir exécutif provisoire pour lui donner de sa part l’ordre d’écrire au Havre qu’on arrête M. la Hogue en France. Elle envoie M. Christinat aux comités pour délibérer là-dessus discrètement, comme je le désirais ; lesquels comités ne font pas autre chose que d’envoyer M. Christinat à M. Roland, pour avoir de lui une réponse des ministres, non à aucune demande de l’Assemblée nationale, mais à la lettre de la municipalité du Havre ; ce qui devient bien différent, l’Assemblée et les comités s’en rapportant à ces ministres : car M. Roland n’est ici (comme je l’ai toujours vu depuis) que la plume passive de MM. Clavière et Lebrun, seuls ministres que cela regardait. Or que font ces messieurs, qui, de retour en place depuis très-peu de jours, n’étaient instruits que par M. Lebrun, ci-devant premier commis, de ce qui s’est passé là-dessus pendant leur éclipse solaire ? Dans leur réponse à la municipalité ils se disent forcés, par un ordre de l’Assemblée, d’empêcher d’aller en Hollande le seul homme qu’elle avait grand intérêt d’y envoyer, et l’homme désigné par les comités réunis ! … Avec ce tour de passe-passe, ils cassent encore une fois le cou à l’arrivée de mes fusils ! et Constantini les aura.

La lettre de M. Christinat se termine fort simplement :

« Ayant reçu les paquets, dit-il (les paquets de M. Roland), il ne dépendait pas de moi de retarder le courrier. (Les paquets étaient donc fermés.) En les lui remettant vers les huit heures, je l’ai engagé à prendre une voiture, et de courir vous demander les vôtres. Je ne doute pas qu’il ne l’ait fait, et que vous n’ayez pressé son départ. Recevez l’assurance du dévouement sincère, etc.

« Signé J.-J. Christinat. »

La phrase de l’obligeant M. Christinat : Je ne doute pas que vous n’ayez pressé le départ du courrier, achèverait la preuve, si j’en avais besoin, qu’il était persuadé que le courrier portait au Havre une nouvelle qui m’était agréable. Donc lui, qui fut le seul intermédiaire de l’Assemblée aux comités, des deux comités aux ministres, et des ministres au courrier, ne savait pas que ces derniers empêchassent mon ami de suivre sa mission ! À plus forte raison l’Assemblée nationale l’ignorait-elle, elle que ces ministres accusent d’en avoir donné l’ordre funeste à l’intérêt public !

Citoyens, c’est par cette méthode que la part qu’ils ont eue aux horreurs qui vont suivre sera prouvée pour vous comme pour moi.

Ainsi M. Constantini me demandait avec menace cent trente mille livres (ou soixante mille florins) pour faire arriver mes fusils, comme étant le seul homme qui eût le grand moyen de les arracher de Tervère. Et les nouveaux ministres, en arrêtant la Hogue en France et refusant le cautionnement, favorisaient le plan du sieur Constantini ; ils me mettaient au désespoir, pour me mieux disposer à faire ce qu’on voulait ! Mais ce que je devinais là, il fallait en avoir la preuve avant de pouvoir en parler. Je l’ai obtenue en Hollande.

Je fis un grand mémoire pour l’Assemblée nationale, à qui je demandais des juges ; et l’on était à le copier, lorsqu’on vint m’arrêter b le 23 août, à cinq heures du matin, avec un grand scandale, et mettre le scellé chez moi ! L’un me traîna dans la mairie, où je restai debout dans un couloir obscur, depuis sept heures du matin jusqu’à quatre heures après midi, sans que personne m’y parlât, sinon les gens qui m’avaient arrêté. Ils vinrent me dire à huit heures : Restez là, nous nous en allons ; voilà un bon reçu que l’on nous a donné de vous.

Fort bien ! me dis-je, me voilà comme le pied-fourché sur la place : les conducteurs ont leur reçu, ils partent ; et moi j’attends, bien garrotté, le boucher qui m’achètera !

Après neuf heures d’attente sur mes jambes, on vint me prendre, et me conduire dans un bureau nomme de surveillance, présidé par M. Panis, qui se mit à m’interroger. Étonné qu en n za tvit rien, j’en fis la remarque ; il me dit que i que sommaire, et qu’on y mettrait plus de formes quand mes scellés seraient levés. Ce que j’y sus de plus certain, c’est qu’il y avait sur moi des clameurs au Palais-Royal, sur la traîtrise avec laquelle ■ d’amener en France soixante mille fusils QUE L’ON M’AVAIT PAYÉS d’AVANCE’, <t ifUe fnenis des dénonciateurs. Nommez-les, monsieur. prie : sinon, moi, je les nommerai. — Mai nu M. Colmar, membre de la municipalité ; un M. Larcher, et tant d’autres.— Larcher ? lui dis-je ; ah ! n’allez pas plus loin ! Envoyez s cIcti ii r un portel : u.lle qui j u fait mettre a i art, sous un scellé particulier : vous j verrez la nuire intrigue de ce Larcher, et d’un Constantini, avec tant d’autres, ainsi que vous le dites, mais qu’il n’est pas temps de nommer.

« —On lèvera demain vos scellés : nous verrons. dit M. Punis ; en attendant, allez coucher à l’Abbaye. » J’y fus, et je fus en chambrée avec les malheureux. .. qui bientôt furent égorgés !

Le lendemain 24, après midi, deux officiers municipaux vinrent me prendre à l’Abbaye pour assister à la levée de mes scellés et description de mes papiers. L’opération dura toute la nuit jusqu’au lendemain 25, à neuf heures du matin ; puis l’on me conduisit à la mairie, où mon couloir obscur me reçut une seconde fois, jusqu’à trois heures après midi, qu’on me fit entrer de nouveau dans le bureau de surveillance présidé par M. Panis.


« On nous a, dit-il, rendu compte de l’examen de vos papiers. Il n’y a là-dessus que des vous donner : mais vous avez parlé d’un portefeuille sur l’affaire de ces fusils que vous êtes accusé de retenir méchamment en Hollande, et ce portefeuille-là, ces deux messieurs l’ont déjà vu : ils