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mais de tous les bruits que l’on répand. Arrêter ces fusils est une trop grande félonie, pour accuser légèrement d’un tel crime envers la nation ! Ceci n’est, je le vois, qu’une vengeance des bureaux, affaire de cupidité ; une grande leçon qu’ils me donnent de ne jamais tenter de bien qui trouble leurs arrangements, et qui nuise à la marche ordinaire du pillage.

J’allai dîner à la campagne ; une indisposition m’y retint. Deux jours après, on m’y vint dire que les ministres s’étaient retirés ; qu’un M. d’Abancourt avait la guerre, et M. Dubouchage les affaires étrangères. — Ah ciel ! me dis-je, celui qui perd un seul instant peut en perdre un irréparable. Si j’eusse différé d’un jour, je n’obtenais aucune preuve des sacrifices que j’ai faits !

Ma position changeant avec les choses, au lieu d’envoyer des reproches au chef des bureaux d’artillerie, pour tous les changements qu’il avait exigés dans l’acte refait à trois fois, je crus devoir substituer des remerciments sur les soins qu’il s’était donnés pour finir : le reste pouvait nuire, et n’était bon à rien. Puis, le 25 juillet je lui adressai cette lettre :

À M. Vauchel.

« Ce 23 juillet 1792.

« J’ai l’honneur, monsieur, de vous envoyer, de la campagne où je suis, l’un des quadruples du dernier traité que j’ai conclu avec les ministres de la guerre et des affaires étrangères (c’était l’expédition pour comités réunis). J’y joins celle de la lettre que j’ai eu l’honneur de leur écrire après la signature, et qui se rapporte aux nouvelles sommes qu’en cas de besoin dans mes affaires j’aurai droit d’obtenir, pour me tenir lieu du dépôt total chez mon notaire, dont vous savez que je me suis désisté, sur vos remarques’judicieuses. Mais mon notaire m’a fait observer que mon traité porte quittance de deux cent et tant de mille florins, comme reçus par moi ; et que j’ai consenti à ne les pas toucher que je n’eusse fait ordonner la mainlevée d’une absurde opposition, mise sur moi entre les mains du ministre de la guerre. Les deux ministres n’étant plus en fonctions, faites-moi, je vous prie, monsieur, le plaisir de me mander, en réponse, quelle forme il faudra que j’emploie envers notre nouveau ministre pour toucher ces deux cent mille florins. M. Lajard, comme vous savez, ne m’ayant point expédié d’ordonnance pour ces sommes, il m’en faut peut-être une du nouveau ministre, qui atteste que je n’ai rien touché. Recevez les salutations de

« Beaumarchais. »

Je sondais le terrain, car je voulais tenter d’accumuler mes preuves. M. Vauchel me fit cette réponse honnête :

« J’ai reçu, monsieur

« Paris, le 27 juillet 1792.

« J’ai reçu, monsieur, la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, à laquelle étaient jointes une expédition de votre nouveau traité, et une autre de votre lettre à M. Lajard, etc.

« Il est vrai que votre traité porte quittance de deux cent et tant de mille florins, comme reçus par vous ; mais rien ne prouve mieux que ce payement n’a pas été effectué, que le consentement que vous avez mis au bas, que tout payement vous fût suspendu jusqu’à la mainlevée de l’opposition.

« Quant à l’exécution de votre traité, elle ne me paraît pas devoir être douteuse, quoique les deux ministres qui l’ont signé ne soient plus en place. Néanmoins il convient que vous en donniez connaissance vous-même au nouveau ministre de la guerre, en le prévenant qu’une expédition en forme de votre transaction existe au bureau de l’artillerie, qui par conséquent sera en état de lui en rendre compte, et de l’informer qu’il ne pourra vous être expédié d’ordonnance de payements que quand vous produirez la mainlevée (ici l’objecteur se montrait). Vous aurez encore, monsieur, une autre formalité à remplir avant de recevoir : ce sera dd faire chez votre notaire une déclaration par laquelle vous affecterez vos biens présents et à venir pour sûreté et garantie de la somme que vous recevrez, par le prochain à-compte, au delà des sept cent cinquante mille livres de contrats que vous avez déposés, pour les cinq cent mille francs que vous avez déjà touchés.

« Le chef du quatrième bureau de la guerre,

« Signé Vauchel. »

Il avait raison en ce point : car le cinquième article de mon dernier traité portait que je d irais hypothèque sur mes biens pour l’argent que je recevrais, jusqu’à l’expropriation entre les mains de À !, de Maulde ; laquelle, faisant la livraison, libérait alors tous mes biens.

ï 1 était l’état de l’affaire quand ces deux ministres quittèrent. Le cai rcial justement exigé par le premier vendeur (puisqu’il l’avait donné lui-même), et que le ministère allait fournir, aux termes de l’article s. une fois envoyé en Hollande, rien au monde n’arrêtait plus la livraison des armes fi Tervére. Quelque chose qu’on lit sous main pour empêcher l’extradition, quand même on trouverait le moyen d’éluder toutes les conditions de l’acte, celle du cautionnement remplie, je pourrais accomplir le reste avec des emprunts onéreux. Je devais donc tromper la malveillance, en me tenant à bien solliciter le cautionnement de cinquante mille florins, et patienter surtout le reste : car le besoin de ces fusils devenait chaque jour plus pressant pour nos volontaires sans armes. Profitant de l’avis de la lettre de M. Vauchel, je fis deux détails de l’affaire : l’un destinée M. d’Abancourt, l’autre pour M. Bubouchage : détails dont je fais grâce ici