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ces vues les formes d’un nouveau traité. Mais on désirerait savoir, dans la supposition qu’en vous expropriant aujourd’hui vous allez nous ôter la crainte de voir ces armes passer aux ennemis, si vous consentirez, par le même traité, de n’en être payé qu’au temps où l’on pourra les faire venir en France ; prenant pour le plus long délai la fin de cette guerre, la cessation de toute hostilité.

— Messieurs, leur dis-je, excusez-moi : ce que vous me proposez là est une autre éventualité pire que celle des assignats : car, si la guerre dure dix ans, je serai donc dix ans privé de mes fonds commerciaux. Je ne puis accepter cette offre ; aucun négociant ne le peut.

— Mais on vous allouera, dirent les ministres, aux termes de l’avis des trois comités réunis, pour la nullité de vos fonds, l’intérêt commercial ou industriel que vous exigerez, et qu’on sait bien vous être dû. C’est l’avis de tous ces messieurs, et c’est à vous à l’indiquer.

— Il n’y a point, messieurs, d’intérêt acceptable qui puisse dédommager un négociant de l’absence de ses fonds pour un temps indéterminé. Quel droit me reste à ces fusils, quand je vous les aurai livrés au seul endroit du monde où la chose est possible ? alors ils sont à vous ; et pourquoi préférer pour moi un intérêt industriel que je ne vous demande pas, à mon payement effectif, qui est juste et que je demande ?

— Ah ! c’est qu’on pense, me dit-on, que l’attrait d’avoir votre argent plus tôt vous engagera à continuer de faire autant d’efforts pour les tirer de là, que si ces armes, que nous réclamerons comme vôtres, étaient encore effectivement à vous.

— Messieurs, mes efforts ne sont rien, si vous n’y joignez pas les vôtres. Si c’est pour échauffer mon zèle (dont on ne peut pourtant douter, après mes sacrifices immenses) que vous voulez garder mes fonds, quand je me suis exproprié des armes, je ferai encore celui-là ; mais je n’indiquerai point l’intérêt commercial d’une aussi bizarre mesure, qui me répugne étrangement. Vous ou les comités, appréciez-le vous-mêmes. Je n’y mets qu’une condition. J’ai tellement été vexé, que si d’autres ministres, et tels que j’en connais, vous succédaient un jour et me déniaient justice, je me verrais à leur merci ; et je sais ce qu’en vaut l’épreuve : j’ai passé par une fort dure !

Je demande qu’en vous donnant, par ma livraison à Tervère, toute la sûreté d’une expropriation parfaite, qui remet les armes en vos mains et vous ôte l’inquiétude que jamais je les vende à d’autres, les fonds destinés au payement soient déposés chez mon notaire, afin que la sûreté soit réciproque des deux parts ; et que toutes les vilenies des oppositions, des patentes, surtout de me faire valeter des mois entiers pour obtenir mon dû, ne puissent plus m’atteindre. Je demande, de plus, que votre propriété remonte au temps de mon traité avec M. de Graves, puisque les intérêts, magasinage et frais de toute nature, sont depuis ce temps à ma perte. A ce prix je n’objecte plus.

Les comités furent consultés de nouveau. Le df’pôt des fonds parut juste, alors que je m’expropriais, et l’acte ainsi fut minuté dans les bureaux de ces ministres. J’en ai les minutes, chargées en marge des observations du ministre de la guerre et d’un chef de bureau, à l’encre el au crayon. Lecointre, je vous les remettrai ; elles sonl dans mon portefeuille. C’est avec ce portefeuille-là, qui renferme toutes mes preuves, que je veux vous corrompre et vous acheter, vous el la Convention, afin qu’un grand feuilliste, que vous connaissez tous, ait encore une fois raison !

L’on proposa M. de Maulde, en qualité de maréchal de camp instruit, pour faire la réception des armes à Tervère ; lui qui était chargé d’en acheter tant d’autres ! Je l’acceptai avec plaisir, quoique je ne le connusse que sur sa réputation d’habile homme.

Et quant à la question de l’intérèl commercialindustriel d< mes fonds, dont on me privait, elle avait été, me dit-on, bien débattue aux comités. Enfin, puisque vous refusez, par déférence à leur avis, de vousexpliquer là-dessus, l’on uousj repose, me dit un des ministres, un intérêt de quinze ; our crut ; répondez net : l’acceptez-vous ?

— Messieurs, leur dis-je, si c’est comme dédommagement du sacrifice d’argent que je fais à la France en vous laissanl — armes au premier prix que je 1rs ai vendues, quand j’en pourrais loucher un bien plus fort, jt ne l’accepte pas, parer qu’il n’y a nulle proportion entre le sacrifice el I’ dédommagement offert, el que je ne uni— poinl à prix loui ce que mon civisme exige. Si c’est comme intérêt commercial de mes fonds, que vous retenez malgré moi. sans •/"■./’devine pourquoi, vous m’obligerez beaucoup plus de me payer, messieurs, en recevant ma livraison, et de garder coti intérêt, qui n’est qu’une ruine pour moi. L’on ae faii rien qu’avec des capitaux : les intà’êts sonl bons pour les oisifs.

Pour n’être remboursé qu’à la tin de la guerre, je n’en puis acceptt r non plus, si vous ne me mettez a mriue, eu me l’émettant quelque— fonds, de suivre des objets majeurs que j’ai entames malgré moi. Ou plutôt permettez que mon pavement tienne lieu de l’intérêt que vous m’offrez comme un dédommagement : car aucun emprunt que j’aie fait pour cette malheureuse affaire ne m’a coûté, tous frais payés, un intérêt plus médioen que celui que vous proposez pour me garder mes tonds un temps illimité. Une semblable perle ne saurait s’apprécier : interrogez tout le commerce. M. Vauchel, de l’artillerie, qui nous servait comme de rapporteur, prit la parole, et dit que -i j’acceptais l’intérêt qu’on m’offrait, au lieu du capital que l’on roulait garder, on me payerait