Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/614

Cette page n’a pas encore été corrigée

trente-six francs la pièce, payés en beaux écus comptés, avons-nous spolié la France ?

Après surtout que vous avez payé, comme je l’ai dit, tous les neufs qu’on a pu avoir des armuriers de l’Angleterre, il y a un an, à trente schellings en or la pièce, ou soixante-douze livres assignats ; et que d’autres vieux, pris depuis dans le fond de la Tour de Londres, ont été sans difficulté payés par vous d’abord vingt schellings en bel or, ou quarante-huit liv. assignats ; et aujourd’hui les mêmes, vingt-six schellings ou soixante-deux livres assignats ; ne peut-on pas vous appliquer l’adage ancien : Dat veniam corvis ?

Et lorsque les Constantini, Masson, les Sann..., et autres protégés de nos citoyens les ministres, vous en font passer par le bec d’absolument hors de service et à des prix... (mais n’anticipons rien ; tout trouvera sa place... répétons pour eux, seulement : Dat veniam corvis) ; mes fusils bien triés au prix de dix-sept francs ou trente livres assignats, et qui sont les moins chers que vous ayez acquis, rendent-ils à vos yeux le ministre coupable, le comité complice, et le vendeur concussionnaire ? Je vous donne du temps, Lecointre, pour y rêver.

Eh bien ! encore une fois, tous les hasards en perte, prévus, je les ai essuyés ; et il y a de plus neuf grands mois que mes tristes fonds sont dehors, et que je souffre le martyre !

Vous ne m’avez donc pas dénoncé, monsieur Lecointre, sur aucun dessein supposé d’avoir acheté des armes pour en priver la France et les livrer à l’ennemi ? Vous seriez un homme trop injuste si vous osiez l’articuler : le contraire est si bien prouvé !

Vous ne m’avez sans doute pas dénoncé non plus sur aucun plan imaginé de vouloir fournir à la France des armes équivoques (comme les amis que j’ai nommés) : les précautions que j’ai prises pour bien assurer le contraire rendraient la dénonciation atroce ; et vous êtes un honnête homme.

Certes, vous ne m’avez pas dénoncé en m’accusant non plus d’avoir vendu trop cher ou voulu trop gagner sur ces armes, quand je les vendis, malgré moi, pour huit florins, à tant de risques et de hasards de pertes ! Vous eussiez fait grand tort à vos lumières : car, lorsque vous m’avez dénoncé, vous saviez tout aussi bien que moi ce que je viens d’apprendre aux autres.

Cependant je suis dénoncé, quoique je sois pur jusqu’ici ; peut-être ma conduite ultérieure a-t-elle donné prise à dénonciation : c’est ce qu’il faut examiner entre nous deux, monsieur Lecointre. Cependant je sais dénoncé ! quoique tous les hasards prévus, je les aie tous éprouvés, grâce à la perfidie des gens qui devaient le plus me soutenir dans cette honorable entreprise.

Voyons si mon patriotisme et mon zèle ardent en ont été glacés ! Suivez-moi donc, Lecointre, et bien sévèrement , car c’est vous que je veux convaincre.

Si tout ceci n’est pas fort éloquent, au moins cela est-il rigoureusement nécessaire pour faire voir à nos concitoyens les dangers qu d rats nous feraient courir tous les jours, si quelque homme bien courageux ne les dénonçai ! à sou tour à l’opinion publique. C’est ce que je ais faire, moi, dans la seconde partie de ce mémoire. DEUXIÈME EPOQUE

J’ai commencé ce mémoire en disant que je ne jugerais point les ministres à qui j’ai eu affaire eu homme de parti, qui blâme tout, sans examen, dans les gens qui diffèrent d’opinion aveclui, et couvre d’un manteau bénin les taule, de tous ceux qu il croit de son avis. C’est parles laits que l’on doit les juger, comme je désire qu’on me juge. Eux et moi nous allons passer sous les yeux de la Com ention nationale, el même de la France entière. Et ce n’est pas le temps de rien dissimuler. Qui trahit son ]iai/s doit payer de sa têt< une action atissi déloyale ’.

Mais lorsque j’examine l’énorme quantité de travaux, de souffrances dont je dois rendre compte, la sueur froide me monte au Iront. Sans avoir écouté mon dénonciateur, vous avez applaudi, citoyens des tribunes, au décret insultant qui me conduisait à la mort, si mes lâches ennemis n’avaient manqué leur coup sur moi ; atrocité dont vous frémirez tous. On est si chaud | r ai i useï ! aura-t-on seulement la patience de me lire ? Et cependant, amis, ennemis, tous le doivenl : les uns pour s’applaudir de l’estime qu’ils m’ont vouée ; les autres pour y trouver de quoi confondre un traître, et me condamner si j’ai tort, si tous les faits ne me justifient (joint.

Douze jours à peine étaient passes depuis le dépari de la Hogue pour la Hollande, qu’effrayé des difficultés qu’on lui opposait en Zélande sur une première requête présentée, il m’expédie un courrier jour et nuit, par la dépêche duquel j’apprends qu’avant même la déclaration de guerre entre la France et la maison d’Autriche, l’amirauté de Middelbourg (mes fusils étaient en ’/eluiule entendait exiger de moi un cautionnement de trois fois la valeur île ma cargaison d’armes, pour la laisser embarquera !■ i re, el s’assurer, nous disait-on, que ces fusils iraient en Amérique, et ne serviraient poml pour les armées de France. Et c’était la réponse que l’amirauté avait faite à notre premièrerequéte pour obtenir l’extradition ! Mais qu’est-ce donc que la Hollande avail à voir à des caisses de marchandises qui ne passaient chez elle que sous la forme du transit, et quiavaient payé les droits ? Certes, ils n’avaient aucune i,, pection politique dessus, pour quelque endroit du monde que je les de ti nasse, moi, citoyen français}