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manière l’arrivée des fusils en France, puisque chaque jour de retard augmentait le danger de la pere sur les assignats, sans celle des intérêts d’argent accumulés sur de si fortes sommes. Quel intérêt pouvais-je avoir à ralentir l’opération ? Il m’est, je crois, permis de faire cette question à mon dénonciateur. Qu’il y réponde, s’il le peut !

C’est ici que vont commencer des scènes d’obstacles en Hollande, lesquelles ont amené des scènes d’horreur dans Paris, que je vais sortir des ténèbres pour en effrayer les Français ! Mais résumons d’abord ce que j’ai dit.

Ai-je prouvé, au gré de mes lecteurs, que loin d’avoir acheté des armes pour les vendre à nos ennemis et tâcher d’en priver la France, au contraire, dès le principe j’ai fait un traité rigoureux qui les lui assurait sans partage, sous les plus fortes peines pour mon vendeur s’il en détournait une seule, quoique beaucoup pussent ne pas servir ?

Ai-je bien démontré que, loin d’avoir cherché à donner à la France des fusils de mauvaise qualité, forcé de les choisir dans la seule masse où je pouvais les prendre, j’ai, au contraire, par mes traités d’achat et de revente, soumis ces armes à un triage, lequel a dû, comme l’on voit, les renchérir de la part d’un vendeur qui, les ayant achetées en masse, voulait avec raison les revendre de même ? Tel est l’esprit de ce marché, que des ignorants n’ont pas même la justesse de calculer.

Enfin ai-je bien démontré que le ministre de Graves, qui, timide à l’excès sur sa responsabilité, avait tant consulté le comité militaire de l’Assemblée législative avant de conclure avec moi, après avoir porté la veille de vingt-quatre à vingt-six livres en écus le prix des armes neuves qu’il avait commandées en France ou en Allemagne, ce qui en montait le payement à quarante-deux livres' assignats au moins ; que ce ministre, dis-je, n’a pu ni dû m’offrir, sous peine d’être injuste, moins de huit florins (dix-sept francs) de mes fusils, à moi, quand je lui ai prouvé d’abord que la France n’avait acquis encore aucune bonne arme à si bas prix, puisque les cent cinquante mille fusils commandés en Angleterre nous coûtaient (dans le pays) trente schellings en or, ou, avec la défaveur du change, de soixante à soixante-douze livres en assignats la pièce ; que les fusils de hasard du même pays nous revenaient alors à vingt schellings en or, ou, en assignats, de quarante deux à quarante-huit livres la pièce (maintenant nous les payons vingt-six schellings, ou de soixante à soixante-quatre livres en assignats la pièce) ; quand je lui ai prouvé ensuite qu’avec le danger d’un triage, toujours soumis aux fantaisies d’un examinateur plus ou moins bénévole (danger de perte incalculable pour quiconque achète en bloc), il pouvait arriver telle circonstance (laquelle est trop tôt arrivée pour justifier ma prévoyance), où, forcé de tirer ces armes de Hollande par la sourde voie du commerce, un droit nouveau d’un florin et demi mettrait les deux vendeurs en perte ; et quand il était bien à craindre, si tout cela n’arrivait point, que la seule chute des assignats, pendant que les changes hausseraient contre nous, ne fit de ce marché, pour nous, qu’un jeu très-ruineux, à la grosse, pour avoir cédé au ministre ?

Eh bien ! tout cela est arrivé. M’entcndez-vous, monsieur Lecointre ? Oui , tout cela est arrivé. N’obstruez pas votre intellect pour servir de vils scélérats ! et si vous m’entendez enfin, oublions, vous et moi, que vous m’avez dénoncé, injurié, outragé. Répondez à ceci en vrai négociant, si vous l’êtes :

i" Sur un marché de soixante mille fusils, achetés forcément en bloc ; forcément, vous m’entendez bien (car, si je ne les eusse pas pris tous, la France n’en nu mit pas un seid) ; sur ce marché, si dangereux en bloc, en commençant par m’interdire la liberté de choisir mes acheteurs, concurrence qui eût établi l’espoir d’un plus grand bénéfice (mais mon civisme l’interdisait), ai-je mal servi mon pays ?

° En m’obligeant, par mes traités, de trier à la pièce ce qui était acquis en musse, lequel triage laisse au hasard une grande latitude de pertes, ai-je mal servi mon pays ?

° En me soumettant à ne toucher le prix de la partie qu’on choisirait qu’en valeurs non fixées, à époque incertaine, de façon à courir, par cette étrange complaisance , le hasard dangereux de recevoir un jour, pour des florins donnés au plus haut change, des assignats qu’un seul revers, ou du désordre dans Paris, pouvait faire choir, au temps où je les toucherais, de quatre-vingt-dix pour cent chez l’étranger (ils perdent aujourd’hui cinquante-deux en Angleterre), ai-je mal servi mon pays ? ° En ajoutant à tous ces risques celui de courir telle chance que, ne pouvant plus profiter du bénéfice d’un transit, il fallût faire, comme je l’ai dit, sortir ces armes de Hollande par la voie sourde du commerce, et payer dans ce cas un florin et demi de droits par fusil bon ou mauvais, comme marchandise du pays, quoiqu’elle y fût venue d’ailleurs, ai-je mal servi mon pays ? Et pourriez-vous déterminer, vous, Lecointre, à qui je m’adresse, et que l’on dit être un homme juste, à quel prix ces fusils devaient être vendus la pièce, pour être sur de n’y pas perdre ? Voilà ce que vous deviez étudier et savoir, avant de dénoncer et d’outrager un très-bon citoyen qui a bien servi son pays ! Et quand sur tant d’incertitudes un ministre, un comité et un négociant patriote ont pris le parti modéré de mettre, entre les fusils neufs d’Allemagne ou de France et ceux-ci, la différence du prix de vingt-six francs à dix-sept livres, quoiqu’il y ait dans cette masse une forte partie d’armes toutes neuves, de la fabrique de Culembourg, que vous n’auriez pas aujourd’hui pour six couronnes ou