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Allons, mes braves adversaires, voilà de quoi vous exercer. Répétez à quelques Français qu’un peu de jalousie tourmente, que tout cela n’est qu’un vain conte. Oh ! quel plaisir j’aurai de bien prouver à ces gens-là ce que j’ai fait pour l’Amérique ingrate.... ou peut-être trompée ! car je ne sais encore lequel :

Je mettrai lMais, citoyen d’un État libre,
Je mettrai l’univers entre ce peuple et moi.

Et vous, nobles concitoyens, tous membres, ainsi que moi, de la commune de Paris, mes pairs et mes jurés enfin, donnez un généreux exemple d’un bon jugement par jurés : prononcez sur la cause que je vous ai soumise ; mais prononcez très-promptement, comme vous vous y êtes engagés. Savez-vous que, pour un homme qui souffre, quinze jours écoulés font déjà vingt et un mille six cents minutes ? car c’est ainsi que l’indignation douloureuse faille calcul de son attente. Si , suis traître <) la pairie, ne me faites point de quartier ; je leur fais grâce des injures, ne nous attachons qu’à des laits.

Pendant cette affreuse anarchie, pendant ce terrible intervalle entre la loi qu’on a détruite et celle que l’on va créer, je ne sais pas encore comment un citoyen blessé peut avoir raison d’un district qui se rend coupable envers lui de la plus noire calomnie. Où porter ma plainte ? où l’instruire ?

à quel tribunal, en un mot, pourrai-je en 

obtenir justice ? Les atrocités sont au comble, et toutes les lois sont muettes.

Puisque vous avez accueilli leur inculpation diffamante, vous ne pouvez rejeter ma justification. G’esl au nom de la liberté que je vous demande vengeance. Si les brigands qui brûlent les châteaux appellent cela liberté, cette canaille plumitive qui flétrit les réputations nomme aussi cela liberté : permettez donc que je l’invoque, cette liberté précieuse, pour obtenir au moins un jugement de vous. Le mépris que je fais de au - ac< u sateurs ne vous dégage point du devoir imposé de prononcer entre eux et moi. Vous ne souffrirez pas qu’on dise que mes grands ennemis sont dans votre assemblée, ni que l’on vous applique l’apophthegme si dur de ce grand penseur, l’abbé Sieyès : Ils veulent être libres, et ne savent pas être justes, Ma confiance en votre équité ne me permet la craindre.

Non que je vous demande à rester parmi vous, je n’ai rien fait pour y entrer ; mais nul ici n’a dkoit de m’en exc.i.ure, si l’on ne prouve pas : Que v je suis traître à la patrie : » Que je me suis lié avec vos oppresseurs ; » Que «j’ai été chassé d’un district ; » Que « j’ai fait des intrigues pour être député « d’un autre ; »

Que « j’ai accaparé des grains ; » Que . j’ai promis douze mille fusils au prévôt >< des marchands Flesselles ; -

nue .. j’ai chez moi des souterrains qui conduisent à la Bastille ; »

Que ■ j’ai déshonoré la France dans mes relao t - d’Amérique ; »

Que « mon avarice sordide a causé les malheurs ’ peuple. »

Car voila les imputations de cette nuée de libellistes qui a fondu sur moi comme une plaie d’Ëgypte. Ah ! faites-moi justice de tant d’horreurs accumulées, et je remets modestement cette .lignite qu’on envé>. 1 . i ri t de gens m’en semblent avides, qu’un homme las qui se retire doit trouver grâce devant eux.

Des accusations si étranges pouvaient seule ? excuser le témoignage que je me rends, et les aveux qu’un vil complot m’arrache. Deux ans plutôt, ils eussent été sans fruit, imprudents, même impolitiques. Deux ans plus tard, la constitution achevée et le corps des lois décrété mettant tout citoyen à l’abri des lâches atteintes, ils ne seraient qu’un jeu de misérable vanité. Ce niorn livré aux délations, aux calomnies, aux désordres de tous li i ermet peut-être à la fierté trter du silence modeste que tout homme doit s’imposer sur ce qu’il a fait de louable ; et surtout, messieurs, quand l’oubli, quand le retard d’un jugement par vous si solennellement promis, semble autoriser quelque plainte, est inexplicable pour tous, et rend le public inquiet sur les motifs qui vous ferment la bouche. N’en doutez point, messieurs, il y va de l’honneur de votre nombreuse assemblée de tenir parole à ses membres, quand vous croiriez ne rien devoir à un citoyen poignardé qui réclame votre secours. Dans l’attente de votre décision, je suis avec le plus profond respect,

Messieurs,

Votre, etc.

Caron de Beaumarchais.

Paris, ce 2 septembre 1789.

POST-SCRIPTUM

Du 5 septembre.

Au moment où j’achève d’imprimer cette requête, je reçois deux écrits qui, bien que différents, se prêtent un mutuel secours. L’un est une motion imprimée, par laquelle un sieur le Marchant félicite naïvement le district des Récollets de la conduite honnête qu’il a tenue envers moi. Ce sieur le Marchant ne doute point qu’une pareille conduite n’honore à jamais ce district. On voit que c’est un fort bon homme.