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VIE DE BEAUMARCHAIS.

Réponse à l’écrivain des administrateurs de la Compagnie des eaux de Paris fut écrasante. L’épigraphe, à elle seule, où Beaumarchais apparaissait, dans une traduction transparente, sous le Crispinus de Tacite : « Né dans l’obscurité, sans ressource que l’intrigue, n’ayant eu de redoutable que ses libelles, mais servant enfin d’exemple à ceux… qui du sein du mépris parvenus à se faire craindre, veulent perdre les autres, et finissent par se perdre eux-mêmes[1] », aurait presque pu suffire. Mais « le coup de massue », c’est le mot dont Mirabeau se servait lui-même quand il en parlait[2], fut la péroraison : « Retirez, disait-il à Beaumarchais, retirez vos éloges bien gratuits, car sous aucun rapport je ne saurais vous les rendre… Reprenez jusqu’à l’insolente estime que vous osez me témoigner, et laissez-moi finir en vous donnant un conseil vraiment utile : Ne songez désormais qu’à mériter d’être oublié. » Cet altier conseil, auquel manquait sans nul doute l’autorité d’un caractère qui, sans tache lui-même, fût plus irréprochable que celui de l’homme à qui la leçon était faite — on sait que M. de Mirabeau ne jouissait que de la plus médiocre considération — mais qui du moins avait pour lui le prestige d’un nom en vue et la force du talent le plus écouté[3] ; ce conseil semblait trop cruel, trop dur, pour que Beaumarchais dût le suivre. Il le suivit cependant, du moins dans cette affaire : son silence, qui surprit tout le monde, prouva qu’il y voulait être oublié.

D’abord la colère avait été grande chez les Périer, et l’on n’y avait pas parlé moins que de demander une nouvelle lettre de cachet contre Mirabeau, dont les attaques s’étaient égarées jusqu’à la plus audacieuse calomnie[4]. Beaumarchais y poussait. Pas plus en effet qu’à Voltaire, les sévérités officielles contre ceux dont il avait à se plaindre ne lui répugnaient : « Le père de Figaro, disait-on par exemple vers le même temps dans la Correspondance secrète inédite[5], à propos de la saisie qu’il fit faire d’un libelle où il était pris à partie, et de l’arrestation de l’abbé de Bouillon qu’il en croyait l’auteur, le père de Figaro sollicite des lettres de cachet contre ses ennemis, tandis que Figaro déclame sur la scène contre la Bastille ! »

Pour Mirabeau, malgré ses grosses menaces, il ne put aller aussi loin, il dut même s’arrêter, comme nous venons de le voir, et cela pour cause : « Il est, disent les Mémoires secrets[6], à propos du comte, il est soutenu par le contrôleur général. » Tout est là, car Beaumarchais aussi était l’homme de ce contrôleur général, M. de Calonne, qui ainsi, sans qu’ils l’aient su, a, par ceux mêmes qui s'y trouvaient engagés, dominé et mené l’affaire, dont l’intérêt de son emprunt, que négocie Clavière et que gêne le succès des Périer, était, nous l’avons dit, le mobile. Mirabeau avait besoin d’argent, Beaumarchais ne pouvait se passer d’influence ; Calonne les satisfaisait l’un et l’autre. Tous deux s’arrêtèrent donc, tous deux se turent, quand il désira qu’on ne parlât plus. De là ce silence dont on s’étonna de la part de Beaumarchais, et qui, de très-surprenant, devient, de cette façon, très-naturel.

Restait à faire la réconciliation, ce qui ne tarda guère. Quelques jours après son second libelle, Mirabeau convenait déjà qu’il avait été bien sévère[7] ; et quelques mois plus tard, on assurait qu’il s’était rapproché de Beaumarchais[8]. Il est certain qu’il fit les premiers pas : « Nous avons été, écrivait de lui Beaumarchais dans ses dernières années, plus divisés de sentiments que d’opinions. Il revint à moi, et il y revint avec grâce[9]. » Quelque prêt d’argent y fut peut-être pour quelque chose. On sait en effet par Gudin, que cite M. de Loménie[10], à quelles nécessités sans trêve, et dont Beaumarchais ne fut pas des derniers à

  1. Tacite, Annales, liv. I, ch. 74.
  2. Mémoires secrets, t. XXX, p. 130.
  3. La Harpe, Correspondance littéraire, t. V, p. 271.
  4. Mémoires secrets, t. XXX, p. 112.
  5. T. II, p. 66.
  6. T. XXX, p. 112.
  7. Id., t. XXX, p. 130.
  8. Id., t. XXXV, p. 311.
  9. Catalogue des autogr. de M. Lucas de Montigny, p. 37.
  10. T. II, p. 375.