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VIE DE BEAUMARCHAIS.

autre in-12, qui suivit plus tard ! Il voulut inutilement éveiller l’attention par quelque scandale, en façon de cymbales et de grosses caisses, comme en 1782, par exemple, lorsqu’il fit partout annoncer, avec le mystère et la discrétion qui devaient en faire un grand bruit, la découverte des Mémoires de Voltaire sur sa vie et principalement sur ses relations avec Frédéric. Les souscripteurs n’affluèrent pas davantage ; on s’en tint aux copies qu’il fit courir, parfois même un peu imprudemment, car l’ambassadeur de Prusse s’en émut[1], et aux lectures qu’il en allait faire lui-même dans les salons en crédit, tel que celui des Choiseul[2] ; mais on n’acheta pas un exemplaire de plus. Les frais cependant allaient en proportion contraire : ils augmentaient tous les jours. D’abord, ce fut le gaspillage d’une mauvaise gestion. Une sorte de jeune fou, à qui Beaumarchais avait imprudemment confié la direction de son imprimerie, y mena tout à la diable, et, en dépit de son indulgence, l’obligea enfin à le chasser. Il se révolta, nia le droit que se donnait Beaumarchais et, profitant d’une de ses trop fréquentes absences, après avoir ameuté quelques ouvriers, dans les derniers jours de juillet 1785, il saccagea l’imprimerie, brisa les presses, etc., etc. Il ne fallut pas moins que l’autorité du margrave pour rétablir l’ordre[3]. Une partie du matériel fut à refaire, et la publication, qu’on accusait de ne pas marcher vite, dut subir le préjudice d’un nouveau et très-long retard. Déjà, l’année d’auparavant, un certain Cantini, que Beaumarchais avait mis à la tête de ses travaux, lui avait fait subir une première perte, plus grave encore. Prenant une route que les caissiers n’ont que trop suivie, il avait passé la frontière avec une partie de l’argent des souscriptions, et Beaumarchais avait dû faire insérer dans les feuilles un avis pour qu’on se tînt en garde contre ce commis infidèle[4].

La Correspondance, qui est peut-être aujourd’hui le plus grand attrait des Œuvres de Voltaire, fut une des ruines de leur première publication par Beaumarchais. Elle exigea — car lui et Decroix, qui s’en étaient surtout chargés, la voulaient aussi complète que possible — dix volumes de plus que ce qu’on avait promis, et c’est pour y suffire qu’au lieu de soixante-deux l’édition en eut soixante-douze. Elle fut cause aussi de toutes sortes de réclamations auxquelles il fallut souvent faire droit à quelque prix que ce fût. La plus impérieuse vint de Catherine II qui, lorsqu’elle eut appris qu’on imprimait non-seulement les lettres que lui avait écrites Voltaire, mais celles qu’elle-même lui avait répondues, fit demander par Grimm, son agent en France, à notre ministre, que le volume où se trouvait cette partie de la correspondance ne parût pas sans qu’elle l’eût examiné et sans qu’on eût fait aux endroits où elle demanderait des suppressions les cartons nécessaires. Beaumarchais dut se soumettre à tout ce qu’on désirait de si haut, et il le constata sur la couverture même du volume « en blanc », c’est-à-dire broché, qui dut pour cela faire le voyage de Russie aller et retour. Voici sa note — copiée par nous sur l’autographe — où il n’oublie rien, pas même ce qui lui fut promis comme dédommagement, et ce qui s’en suivit ou plutôt ne s’en suivit pas : « Ce volume, paraphé par le baron Grimm, chargé de réclamer auprès du roi Louis XVI et de la part de l’impératrice de Russie les cartons qu’elle désirait qu’on fît dans ses lettres à Voltaire, est celui qui a été envoyé à Pétersbourg et, après que les phrases à retrancher ont été soulignées par l’impératrice elle-même, a été renvoyé ici, où M. de Montmorin exigea, au nom du roi, que tous les endroits soulignés par Sa Majesté l’impératrice et paraphés par son ministre Grimm fussent cartonnés et les cartons retranchés envoyés à l’impératrice qui payerait les frais de tout. Rien n’a été payé par elle[5]. »

Donner beaucoup, recevoir peu, tel fut pour Beaumarchais cette entreprise, avec une

  1. Correspondance secrète, t. XIV, p. 221.
  2. La Harpe, Correspondance littéraire, t. IV, p. 105.
  3. Loménie, t. II, p. 225.
  4. Correspondance secrète, t. XVIII, p. 320.
  5. Mémoires secrets, t. XXVI, p. 250.