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En tout ceci je crois qu’on n’aperçoit ni intrigue ni esprit de parti. À chaque événement important, la première idée qui m’occupe est de chercher sous quel rapport on pourrait le tourner au plus grand bien de mon pays. Mes portefeuilles sont pleins de ces efforts patriotiques qui m’ont valu l’estime de tous les hommes d’État à qui j’ai pu me faire entendre ; et, pendant que la basse envie se traîne, et siffle, et bave autour de moi, je saisis toutes les occasions de faire le peu de bien que la fortune met au pouvoir d’un particulier citoyen.

Un ou deux exemples de plus pourront en donner quelque idée.

En 1779, la guerre venait de s’allumer. Le commerce découragé n’envoyait plus en Amérique ; aucun corsaire n’armait plus. Nos parages étaient infestés.

Les ministres du roi me demandèrent si je savais quelque moyen de ranimer cette vigueur éteinte. Je leur offris l’observation suivante ; et j’ai le bonheur aujourd’hui de voir le roi et la nation d’accord sur le touchant objet que je traitais avec chaleur en 1779.

À M. de Sartines, en lui envoyant ^Observation d’un citoyen adressée aux ministres du Roi. MONSIEUB,

Paris, ce 19 février 1779.

n vous faisant mes remerciments du brevet decapitaineque vous m’avez envoyé pour M. de Francy, j’ai l’honneur de vous adresser ma petite motion en faveur des négociants protestants. Vous trouverez les esprits bien disposés. M. le comte de Vergennes, à qui j’en envoi, . copie, m’a promis de vous soutenir fortemenl lorsqu’il en sera question là-haut. Aucun acte de bonté ne peut vous gagner plus de gens honnêtes, et les protestants le sont beaucoup.

Il est grand de les protéger.

Puisse mon zèle ardent vous plaire,

Et mou travail encourager

Le bien que vous voulez leur faire ! Mais le temps presse, parce qu’il —.ij.it de le— engager d’armer ; et c’est ce que je propose de faire dans mon très-prochain voyage à Bordeaux.

Vous connaissez, monsieur, mon tendre et très-respectueux dévouement.

Signé Caron de Beaumarchais.

.1.)/. le comte de Maurepas, en lui envoyant /’Observation d’un citOVell « i/it « it nier un ni 1res du Uni. Paris, le 10 février 1779.

AlONSlEUR LE COMTE,

Dans le besoin extrême où le commerce est d’encouragements, je creuse mon cerveau, et je me rappelle que, dans mon dernier voyage à Bordeaux, les négociants protestants m’ont parlé avec une grande amertume de leur odieuse exclusion de la chambre de commerce. Je ne pouvais revenir de mon étonnement sur ce reste d’intolérante barbarie : je vis qu’au prix d’une grâce légère on pourrait bien les engager à mettre des navires à la mer.

■ J’en ai parlé à M. de Sartines, à. M. de Vergennes : ils sont absolument démon avis : car les catholiques, voyant les protestants s’évertuer, ne voudront pas rester en arrière, et tout peut marchera la fois. Qui connaît mieux que vous l’art de conduire les hommes ? Vous savez bien que c’est avec de tels moyens qu’on les mène au feu, à la mort. Je n’ai pas besoin de vous dire que M. Necker approuve ma petite motion. Elle l’a même un peu ramené à moi, après une conversation assez austère sur la conduitedi : tux, aux quels il m’a promis de parler.

Qu’il fasse ao order le transit ou transcat à travers le royaume, que M. de Sartines écrive la courte lettre insérée dans mou Ob ervation ci-jointe, el que vous me mettiez ces deux armes à la main dans mon très-prochain voyage à Bordeaux, je vous promets d’en user assez bien pour inspirer un nouveau zèle à tous ces commerçants découragés. En allant demain chercher a Vei paquets de MM. de ergi nnes el de S u tines pour l’Amérique, j’aurai l’honneur de vous communiquer une idée aussi simple que lumineuse pour effectuer sans éclat le grand objet dont M. lecomte de Vergennes el moi vous aveu— entn tenu lundi.

Le zèle de la maison du Seigneur m’enflan :, et vos bontés pour moi renouvellent mes forces, que le travail épuise.

Je suis, avec le plus profond respect, etc.

Signé Caron de Beaumauchais.

Observation d’un Citoyen adressée aux ministres du Roi. (Remise, le 26 février 1779, à chaque ministre du Roi.)

L’administration la plus active et la plus éclairée ne pouvant tout voir, moins encore deviner ce qu’on a souvent intérêt de lui cacher, ne saura pas mauvais gré au citoyen voyageur qui aperçoit quelques abus, de les lui mettre sous les yeux, lorsqu ils sont aussi faciles à réprimer que pernicieux au bien national.

De tous ces abus celui qui m’a le plus indigné dans mes voyages, par son injustice et le mal qu’il apporte aux affaires, est l’usage absurde par lequel un négociant protestant, quelles que soient sa fortune et sa considération, n’est jamais appelé ni admis dans bien des chambres de commerce.

Lorsque les Anglais, plus acharnés contre les papistes que nous ne le sommes contre les anglicans, adoucissent aujourd’hui le sort des malheureux catholiques dans les trois royaumes, et nous donnent un si bel exemple sur la tolérance civile : et surtout lorsque le roi de France a daigné confier l’administration de ses finances à un homme de génie qui n’est ni Français ni de la religion du prince, n’est-ce pas le moment de présenter à son conseil la réclamation que je fais d’office pour tous les négociants protestants du royaume, du droit de concourir avec les catholiques au bien qui résulte de l’institution et des assemblées d’une chambre de commerce en chaque ville opulente ?

La religion ni l’état civil du citoyen n’entrant pour rien dans le but de ces assemblées, et leurs délibérations ne portant jamais que sur des objets de haut négoce, ou sur les ordres du ministre à transmettre au commerce ou sur les observations respectueuses des négociants à soumettre au ministre, un grand concours de force et de lumières n’est-il pas la seule chose une l’administration puisse et doive désirer en tous ceux qui composent les chambres de commerce ?

Or, quand il ne serait pas d’expérience reconnue que dans nos ports les maisons protestantes sont les plus riches et les mieux fondées de toutes ; quand il ne serait pas prouvé que personne n’y contribue plus gaiement, plus abondamment et de meilleure grâce, au soulagement des malheureux, à toutes les charges imposées à cet effet, et quand il ne serait pas certain qu’en toute occasion ces maisons donnent aux autres sujets du roi l’exemple du dévouement et du patriotisme, un simple raisonnement convaincrait que ces utiles familles, éloignées par la différence du culte de tout ce qui s’offre à l’ambition des catholiques, et forcées par cette exclusion de chercher la considération dans une continuité de travaux du même