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des cent livres : c’est le secret de la romaine, et voilà toute notre histoire.

Maintenant donc, messieurs, pourquoi faudrait-il nous brûler ? On voit bien dans vos écrits de la cruauté, des platitudes et de la mauvaise foi ; dans les miens, on y voit de la bonne foi, de la colère, et quelques platitudes.


Mais, après tout, il faut pourtant conclure
Qu’entre messieurs Siméon père et fils,
Gassier, Barlet, Desorgues, Portalis,
Falcoz et moi, tous faiseurs d’écriture,
Aucun de nous n’est sorcier, je vous jure.


Caron de Beaumarchais.
Mathieu, procureur ;
M. le conseiller de Saint-Marc, rapporteur.

Ci-joint la déclaration du dépôt que j’ai fait chez le notaire de ma soumission de cinquante mille livres.

« Je soussigné Pierre Boyer, conseiller du roi, notaire à Aix en Provence, déclare que M. de Beaumarchais m’a remis cejourd’hui sa soumission, telle qu’elle est insérée mot à mot dans son mémoire imprimé, intitulé le Tartare à la Légion, page 15 dudit mémoire, duquel mémoire il m’a remis un exemplaire signé de lui. Fait à Aix, le 19 juillet 1778. »


POST-SCRIPTUM


Ce mémoire était tout imprimé, lorsque le comte de la Blache vient de me faire signifier une lettre de son ami Dupont, arrivée, dit-il, de Béarn, où le comte de la Blache ignorait qu’il fût (dit-il encore). Je cherche en vain ce que veut dire cette nouvelle communication qu’il me fait faire ; à quoi cela répond-il ? cui bono ? Cela lui vient à point comme sa lettre de Grenoble à son ami Goëzman.

Vous jugez bien d’abord, lecteur, que, puisque le comte de la Blache assure, dans son commentaire sur cette lettre produite, que je n’avais encore jamais parlé du sieur Dupont dans mes défenses, on peut en conclure hardiment que j’avais déjà parlé du sieur Dupont dans mes défenses, car le comte de la Blache est toujours fidèle à son principe.

En effet, dans mon mémoire au conseil, j’avais dit : « Je prouverai comment et par qui le sieur Dupont, qui d’emplois en emplois était devenu son premier secrétaire (de M. Duverney), qui avait mérité d’être son ami, et qui est aujourd’hui son successeur dans l’intendance de l’École militaire, a été lui-même éloigné de ce vieillard sur la fin de sa vie ; parce que, le sachant nommé son exécuteur testamentaire, on avait le projet de faire faire au vieillard un autre testament, et d’obtenir un autre exécuteur. »

Si j’ai parlé alors en bons termes du sieur Dupont ; si en 1778 j’en ai dit du bien, quoique je sache qu’il est du nombre de mes ennemis ; si même aujourd’hui, qu’il se prête à un petit dénigrement, je persiste à penser de lui ce bien que j’en ai dit, c’est qu’il est un de ces hommes dont j’ai toujours aimé les travaux et le caractère, et qu’il est impossible qu’il n’ait pas un vrai mérite, quand, de simple commis qu’il était, il a pu s’élever à la dignité de conseiller d'État. Et l’on sent bien que je dis ici tout ce que je pense.

C’était en 1774, lecteur, que j’écrivais ce trait sur le sieur Dupont, dont je n’ai jamais parlé, dit-on, dans mes défenses ; et c’est en 1778 que j’en ai fait la preuve ; et ma preuve a été de montrer par cette phrase du sieur Dupont, écrite en 1770 : Je connais tout le mal qu’on a voulu me faire ; et cette autre de la même date : Je connais assez les affaires qu'il vous laisse à démêler avec son héritier, pour que je n’y veuille pas y jouer un rôle : 1o que le comte de la Blache avait écarté Dupont, son ami, de M. Duverney dans les derniers temps de sa vie, pour être seul maître du champ de bataille ; pour montrer dans quelles dispositions atroces était déjà cet héritier (qui ne veut pas qu’on le nomme héritier), avant qu’il eût l’air de connaître mes prétentions sur une portioncule de son héritage : sans que j'aie entendu pour cela m’étayer de l’opinion actuelle du sieur Dupont, qui m’est aussi indifférente qu’elle m’est connue, et qu’elle est étrangère à ma cause.

En lisant cette phrase de ma Réponse ingénue : On voit par ces aveux d’un homme honnête, et qui jugeait froidement alors dans quelles dispositions était ce vindicatif héritier, etc. ; l’on peut juger, dis-je, que je sais fort bien que le sieur Dupont est devenu l’ami du comte de la Blache, parce que l’intérêt, qui divise les hommes, est aussi ce qui les réunit.

D’après tout ce nouveau train de mon adversaire, je prie le lecteur d’avoir la patience de relire les pages 399, 400, 401 et 402 dans ma Réponse ingénue : il se convaincra que je n’ai dit ni voulu prouver autre chose en cet endroit, sinon le bon caractère, les précautions, les intentions et les ruses du comte de la Blache.

Ne voulant pas semer trop d’ennui sur mes défenses, je n’ai imprimé toutes les lettres citées, quand elles étaient longues, que par extrait ; mais j’atteste ici, devant les magistrats du parlement qui me lisent, que les originaux entiers leur ont tous été déposés dans les mains, loin que je voulusse dissimuler la moindre chose au procès.

Maintenant, en quel dédain ne doit-on pas prendre un plaideur qui ne néglige pas même en sa cause de se faire écrire de Béarn, pour les imprimer, des lettres apologétiques, par un ami dont il ignorait l’absence de Paris, quoique cet ami nous apprenne en être parti le 10 mai, temps auquel le comte de la Blache était encore a Paris, n’en étant parti pour Aix que longtemps après cette époque ? Quelle pitié, bon Dieu ! quelle pitié !

Que si j’avais pu m’abaisser à de pareils moyens, le comte de la Blache croit-il que je n’eusse pas pu le couvrir de lettres bien plus imposantes, et qui eussent au delà balancé la fade apologie intitulée Dupont, mon ami ? J’aurais cru me déshonorer de le faire, et je n’ai pas eu besoin d’un instant de réflexion pour m’en abstenir. Car je maintiens toujours que, pour avoir une bonne conduite en cette affaire, je dois prendre en tous points le contre-pied de la sienne.

Caron de Beaumarchais.
Mathieu, procureur.