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layer cette poussière, exorciser ce nouveau fantôme, qui voudrait obscurcir la plus claire de mes preuves.

Ce moment est suprême : renonçons à l’élégance, et que la clarté nous tienne lieu de tout.

Pourquoi Me Caillard désira-t-il une communication amicale de nos lettres pendant les plaidoyers ? C’est que, le comte de la Blache ayant vu ces lettres avant le procès (circonstance qui me détermina, malgré l’avis de mes conseils, à les montrer à l’audience, dans les plaidoyers de Me Bidault, pour qu’on ne me reprochât pas de refuser en public ce que je montrais en particulier), Me Caillard, qui ne devait parler que le second, puisque j’étais demandeur, voulut, avant de répondre à Me Bidault, connaître à fond ces lettres pour les discuter à l’audience. Il nous pria donc de les lui confier, ce que nous fîmes. Après laquelle confiance vint enfin le plaidoyer de Caillard, et son imputation d’un cachet apposé par moi sur ce mot prétendu écrit par M. Duverney ; plaidoyer qui fut coupé par ma protestation, par la déclaration de Me de Junquière, et par sa preuve, qui couvrit de confusion et l’avocat et le client.

Donc c’est avant la scène de l’audience que la communication amicale du titre et des lettres fut faite à Me Caillard, et non pas depuis. À quelle fin en effet l’aurait-il désirée après ses plaidoyers, s’il l’eût négligée avant de porter la parole ? Donc, en ajoutant cette conviction à toutes mes précédentes preuves, on s’assure de plus en plus que c’est pendant cette communication que la friponnerie avérée du cachet apposé, du mot déchiré, de la roussissure et des taches d’encre, fut consommée : donc l’imputation qui m’en fut faite à l’audience, et dans le premier mémoire de Caillard, est ce qu’il y a jamais eu de plus lâche et de plus odieux.

Un autre fait aussi étrange, c’est de voir le comte de la Blache soutenir aujourd’hui que je suis toujours resté sans réponse aux reproches que me fit ce même Caillard dans ses plaidoyers et mémoires aux requêtes de l’hôtel, sur une prétendue surcharge qui, dit-il, existait dès lors sur toute l’écriture du billet portant : Voilà notre compte signé.

À cela voici ma réponse, et je prie les magistrats de vouloir bien la peser jusqu’au scrupule :

Si je n’avais pas alors répondu à ce reproche d’une surcharge entière d’écriture, fait, dit-on, par Caillard, il en faudrait conclure qu’après avoir bien avéré, dans le temps, que la friponnerie du cachet apposé, du mot Beaumarchais déchiré, de la roussissure du papier et des pâtés d’encre, était à mes ennemis, je me serais cru en droit de m’élever au-dessus de la défense d’une imputation de surcharge dont tout l’artifice eût été de prouver leur propre ouvrage.

Mais il n’est pas vrai que Caillard ait jamais reproché de surcharge entière à ce billet, dans aucun endroit de ses plaidoyers ni de ses mémoires.

Caillard a dit : Les mots voilà notre compte signé sont à la fin du billet ; on aura bien pu les y ajouter. La réponse à cela était : Si l’on a bien pu les y ajouter, on a bien pu aussi ne les point ajouter. C’était se battre alors pour la chape à l’évêque : je n’ai donc pas cru devoir y perdre mon temps.

Caillard disait : Les mots voilà notre compte signé sont d’une écriture différente ; on le voit à travers le papier. Ici la réponse était : Inscrivez-vous en faux ; ce fut celle aussi que je ne cessai d’y faire en tous mes écrits.

Caillard disait : On a voulu faire du mot jeudi celui de vendredi ; il y a un trait sur la lettre du mot qui prouve qu’on l’a essayé. Caillard disait une bêtise : car pourquoi surcharger la date de M. Duverney, pour la faire cadrer à la mienne, quand il m’était si facile de faire cadrer ma date à la sienne, si j’appliquais après coup un billet sur le sien ? On n’a pas cru devoir répondre à cette bêtise de Caillard.

Caillard disait : Vous avez fait un 5 du 6 de votre date, pour la faire cadrer au mot jeudi de M. Duverney. — Donc, Me Caillard, si j’ai pu surcharger à mon gré ma date au billet appliqué, si en effet je l’ai surchargée, je n’ai pas eu besoin de toucher à celle de M. Duverney, aussi grossièrement surtout que vous dites que la première lettre est surchargée. Mais vous imposez, Me Caillard, sur votre expression. Le petit trait qui se trouve sur la première lettre du mot jeudi n’est pas une surcharge, c’est tout platement une lettre, et cette lettre est un M, et non pas un V : ce qui, bien vérifié, s’éloigne tellement du lâche système que vous me supposez, qu’au lieu d’avoir essayé de faire du mot jeudi celui de vendredi, pour qu’il se rapportât à une fausse date du 6 avril, il s’ensuivrait que je n’aurais surchargé le mot jeudi que pour m’éloigner encore plus de ce 6 avril : car un M en surcharge ne pourrait présenter que l’intention de mettre mardi ou mercredi, dont l’un était le 3 et l’autre le 4 avril. Donc cet M, et non pas ce V, ne pouvait être de moi : donc cette lettre fut tout naturellement de M. Duverney, ou bien elle est germaine de toutes les infamies qui furent faites sur ce billet lors de la communication à l’amiable, à cause de ces mots voilà notre compte signé, qui faisaient tant mal au cœur de l’adversaire.

Voilà pourquoi je crus alors qu’au lieu de relever chaque insigne bêtise de Caillard sur ce billet, il valait mieux couper d’un seul coup toutes les têtes de l’hydre, en prouvant bien la friponnerie du cachet apposé, du mot déchiré, de la roussissure imprimée au papier, et des taches d’encre par-ci par-là sur les premiers mots ; et c’est ce que j’ai fait.

Mais, comme on n’avait jamais parlé jusqu’à présent d’une surcharge entière ou d’un trait passé sur toute l’écriture du billet, je n’ai pas pu la prévoir, et n’ai pas dû répondre d’avance à l’imputa-