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de réfléchir sur votre proposition, je l’ai fait ; j’aime mieux que vous ayez tout l’intérêt (des bois) à vous seul, que de le prendre, moi. Je ne puis mettre le bien de ma femme dans mes affaires, et je n’ai plus d’argent, s’il faut des fonds. À cet article des bois près, nous sommes d’accord sur tout le reste. »

Et lorsque, après une aussi vicieuse objection, cet avocat finit sa tirade en faisant le bonhomme, en jouant de l’indigné par cette conclusion : « La fraude ne se décèle-t-elle pas par de pareilles contradictions ? » n’ai-je pas bien droit de lui rétorquer son argument, en lui disant à mon tour : « Ainsi la mauvaise foi se décèle toujours par de semblables citations ? »

Si je n’emploie pas exactement sa phrase en lui répondant, c’est que je n’aime pas ce choc raboteux de syllabes : décèle-t-elle pas par de par… Mais comme je l’ai déjà dit dans je ne sais quelle de mes réponses, « s’il est toléré de mal écrire, ô avocat ! il est ordonné de citer juste, ô honnête homme ! » Et j’ose bien assurer que si vous aviez un père qui eût lu votre consultation, il se serait bien gardé de s’écrier dans sa joie, comme le juste Siméon : Nunc dimittis servum tuum, Domine ; ou bien ce père-là ne serait pas difficile en consultations. Mais je perds du temps, et je n’en ai pas assez pour finir mon ouvrage. Avançons.

Le seigneur ON avait imprimé que jamais M. Duverney ne m’avait écrit un seul mot d’amitié. Je cite en réponse un billet de lui, portant ces mots : « Votre santé m’inquiète, monsieur ; faites-m’en donner des nouvelles tous les jours, jusqu’à ce que je puisse vous voir, ce que je désire ardemment. » Que réplique à cela le candide avocat ? « Point de date (dit-il) : en sorte que le sieur de Beaumarchais a pu appliquer au 15 juin ce qui aurait pu lui être écrit dans un autre temps, etc. »

Aurait pu ! a pu ap… Quand on est forcé de déraisonner, oh ! comme on écrit mal ! L’attention qu’on donnerait à son style, il faut la porter tout entière à son plan ; et l’on devient si gauche ! Eh ! qu’importe, avocat, qu’il ait écrit le 10 ou le 15, en janvier ou septembre, un pareil billet ? en est-il moins un billet amical ? Et pouvais-je mieux relever que par le billet le reproche de n’avoir jamais reçu de mon ami un seul mot d’amitié ? M. le comte de la Blache, vous êtes bien contagieux ! En honneur, vous empestez et bêtifiez tout ce qui tourne en votre sphère !

En voyant les efforts que fait l’avocat Légion (pages 54 et 55) pour effleurer le billet que j’ai décrit (page 388 et suivantes dans ma Réponse ingénue), les magistrats, qui ont la pièce originale sous les yeux, doivent un peu sourire, et prendre un tel orateur en grand’pitié, tant sur la forme qu’il attribue au billet que sur l’impossibilité des cachets et des plis du papier !

Réellement ce n’est pas pour nos juges que ces messieurs écrivent : ils ne peuvent plus se flatter de leur en imposer. Les pièces qu’ils attaquent sont sous leurs yeux, et je suis là pour balayer les faux indices. Mais ces avocats écrivent pour la bonne compagnie du cours et de la ville, que l’auguste circonspection des magistrats tient dans l’incertitude. En attendant l’arrêt, ces avocats endorment leur client par l’espoir qu’on croira sur le cours qu’ils ont bien répondu. Soyez tranquille, monsieur le comte, lui disent-ils respectueusement, c’est un chien qui aboie à la lune. Et le client furieux, que ces propos ne réjouissent pas, leur répond : Oui ; mais, en attendant, c’est un chien enragé qui me mord les deux jambes. S’il avait dit : qui me coiffe hardiment, l’image eût été plus correcte. Mais ils se trompent tous à mon égard : je ne suis ni chien ni enragé ; je ne mords les jambes ni ne saute à la face ; je suis un malheureux plaideur, bien tourmenté, bien vexé, qui n’a provoqué personne, et qui n’écrit jamais qu’en répondant. Eh ! laissez-moi tranquille, et je ne dirai mot. Mon emblème est un tambour, qui ne fait du bruit que quand on bat dessus.

(Page 56.) « Cette lettre porte (dit l’écrivain), on ne sait pourquoi, trois cachets. Ne serait-ce qu’au troisième que le sieur de Beaumarchais serait venu à bout de la faire cadrer à son dessein ? »

Et vous aussi, Martin ! vous voulez badiner ! Mais, Martin, vous avez les pieds trop lourds, et vous dansez de mauvaise grâce ! En attendant, sachez, Me Martin, que la lettre dont vous parlez, bien examinée par les magistrats, est reconnue ne porter que deux cachets, comme je crois l’avoir déjà dit plus haut. J’écris si vite, et l’imprimeur m’enlève si promptement les morceaux pour les enfourner tout chauds, qu’il ne m’est pas possible de savoir si j’ai parlé de cette lettre ou non : mais, en pareil cas, la redite est un petit mal. Eh ! puissé-je n’en avoir pas de plus grave à reprocher à mes adversaires !

(Page 58.) Voyez-vous, lecteur, ces grosses lettres capitales qu’il emploie en style d’écriteau, pour rappeler que j’ai dit que M. Duverney déguisait son style et sa main, quand il écrivait mystérieusement ? comme si cela m’était échappé bien imprudemment, ou que j’eusse voulu me ménager une grande échappatoire, en disant qu’il déguisait sa main. À cela, voici ma réponse :

Tel billet de M. Duverney est supposé par eux n’être pas de sa main ; tel autre n’est querellé par eux que sur la supposition d’un anachronisme. On rapproche les deux billets, on les trouve écrits de la même main. On fait cette épreuve sur tous les billets l’un après l’autre ; on voit la fourberie, et l’on sait par cœur le comte de la Blache. Entendez-vous, messieurs, ma réponse ? Il n’était pas besoin de vous mettre en légion pour faire de pareille besogne ; et votre homme a beau ronger le