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lettre (page 46 de la consultation), vous vous êtes bien gardé d’imprimer un seul mot de ce qu’elle contient, je vais la transcrire en entier, afin que son interception dans votre mémoire ne nuise pas au bien que son contenu fait à ma cause.


M. Duverney au contrôleur général.
« Monsieur,

« Je croirais manquer de respect à la famille royale, si j’ajoutais la recommandation d’un particulier à celle qu’elle a donnée à M. de Beaumarchais auprès de vous. Mais il exige seulement de mon amitié que je mette au jour l’opinion que j’ai de lui. Quand je n’aurais pas de preuves verbales et par écrit du cas que Mesdames en font, je ne pourrais lui refuser les bons témoignages que tout le monde doit se plaire à lui rendre. Depuis que je le connais, et qu’il est de ma petite société, tout m’a convaincu que c’est un garçon droit, dont l’âme honnête, le cœur excellent et l’esprit cultivé méritent l’amour et l’estime de tous les honnêtes gens. Éprouvé par le malheur, instruit par les contradictions, il ne devra son avancement, s’il y parvient, qu’à ses bonnes qualités. L’acquisition qu’il fait aujourd’hui est la preuve de ce que je dis. Ses amis pouvaient lui procurer un emploi plus lucratif des fonds considérables qu’il y destine, s’il n’eût préféré le plus honnête au plus utile. Je lui rends ces témoignages avec d’autant plus de plaisir, que je sais qu’ils sont d’un aussi grand poids à vos yeux que la faveur la plus décidée. Je saisis avec empressement cette occasion de vous assurer, etc., etc.

« Signé Pâris Duverney. »


Et vous taisiez cette lettre, dont la minute était dans les papiers de l’inventaire Duverney, et dont je n’ai, moi, que la copie ! Et lorsque vous êtes forcé, par une signification, d’en parler au moins dans votre mémoire, vous en retranchez tout le contenu, afin de l’affaiblir ; et vous vous contentez seulement de dire (page 46 de la consultation des six) :

« Chacun sait ce que prouve une lettre de recommandation ; celle-ci devait être plus forte qu’une autre, à raison de l’intérêt pressant que Mesdames mirent à l’affaire : elle ne prouve donc pas intimité. »

Non, monsieur le comte, elle ne la prouverait pas toute seule ; mais quand elle est appuyée de toutes celles que j’ai produites, et qu’on peut d’autant moins la révoquer qu’elle a été trouvée sous les scellés de M. Duverney, un plaideur de bonne foi, en la citant, l’aurait transcrite, et serait convenu qu’un homme aussi respectable que M. Duverney ne pouvait donner au jeune de Beaumarchais un plus honorable témoignage de son estime et de son affection. Ainsi donc, pour loi constante, quand vous ne pouvez pas nier, vous falsifiez ; et, dans l’impossibilité de falsifier, vous interceptez ou ne faites que citer sans transcrire. Et par cette ruse, vous me forcez de toujours mettre au net ce que vous embrouillez, de renforcer ce que vous atténuez. Mais, à votre aise, monsieur le comte : car, si vous ne vous lassez pas de me fuir et de vous terrer, je ne lasserai pas de vous poursuivre ; et tant que vous serez le lapin rusé, je serai, moi, le furet obstiné.

Pourquoi vous abstenez-vous, par exemple (page 26 de la consultation), de transcrire ma lettre du 19 juin 1770 à M. Duverney, puisque vous me l’avez signifiée ? Est-ce parce qu’on y lit cette phrase, qui prouve autant la confiance de M. Duverney que sa réplique citée par moi (page 378 de ma Réponse ingénue) ?

Il s’agissait d’un mémoire sur lequel je disais mon avis : « Mais comme cet essai fait trop d’honneur à l’éducation et à l’élève pour rester inconnu, et qu’en remplissant l’objet pour lequel vous me l’avez confié, il pourra subir l’examen, etc. »

Est-ce parce qu’elle contient cette autre phrase, qui est étrangère au mémoire et se rapporte à d’autres objets de confiance dont j’ai montré les matériaux aux magistrats qui nous jugent ?

« J’ai lu aussi tous vos règlements : j’aurai l’honneur de vous dire aussi ce que j’en pense, J’exciperai de votre confiance pour vous communiquer, avec une louable franchise, un projet qui m’est tombé dans l’idée, et qui me paraît concourir parfaitement au but que vous vous proposez. Trop heureux si je puis réussir à faire quelque chose qui vous soit agréable, etc. »

Et ce grand projet dont je lui promettais de lui confier l’idée, j’ai fait observer à nos juges qu’il avait eu sa pleine exécution, et j’ai joint à mon observation toutes les copies du plan, des lettres de M. Duverney aux puissances, et des puissances à lui ; le tout de la même écriture que les lettres du bureau de M. Duverney à moi, parce qu’il me les avait remises alors pour en faire le bon usage dont j’ai encore instruit nos juges, et qui me donna tant de droits à la reconnaissance de ce grand citoyen.

Voilà comment les choses sont faibles ou fortes, selon qu’elles sont présentées ; voilà comme elles sont importantes ou frivoles, suivant la preuve qu’on ajoute ou le retranchement total qu’on en fait. Et voilà comment ce que vous niez, il faut toujours le passer pour convenu, parce que c’est de vous surtout qu’on peut dire avec vérité, que deux négations valent une affirmation, et qu’en général votre négation est plus affirmative que ce non des belles qui veut quelquefois dire oui, mais qui ne le signifie pas toujours.

N’ayant plus qu’un moment à parler, je ne m’écarterai point de la méthode utile de toujours déduire mes réponses actuelles de celles qui les ont