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l’embarras de son exécution devait regarder un autre que vous. (J’étais bien initié, comme on voit, dans les secrets de la famille.) Sa mort précipitée, qui a dérangé tant de petits projets, laisse au moins à la tête de ses affaires un homme, etc.

« Signé Caron de Beaumarchais. »

Dans ma lettre du 26 octobre, au même, on lit :

« Ah ! monsieur, que de petites noirceurs ! que d’intrigues ! que de lettres anonymes ! que de peines on s’est données autour de ce pauvre vieillard pour l’envelopper ! Sa politique n’allait pas jusqu’à me dissimuler cette espèce d’esclavage. J’en ai dans ses lettres des preuves certaines. À l’égard des choses que M. de la Blache dit tenir de son grand-oncle, il ne faut se fier à cela qu’avec de bonnes rectrictions mentales. J’ai vu cet oncle, dans le temps même où il n’osait pas vous recevoir, dans le temps qu’il semblait le plus outré contre vous, gémir avec moi des soins qu’on prenait pour lui noircir la tête, et éloigner son cœur de ce qu’il avait le plus aimé, etc., etc. » (Cet oncle ne me cachait donc pas plus ses chagrins que ses affaires.)

Et que répondit à cela l’exécuteur testamentaire, homme aussi prudent que sage et circonspect ? (Je ne veux rien cacher.)

« Ce 26 octobre 1770.

« J’ai, monsieur, assez de discrétion, et j’aime assez la paix pour garder pour moi seul la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire hier au soir.

« Je connais tout le mal qu’on a voulu me faire… » (Eh ! comment ne l’aurait-il pas connu, puisqu’on a trouvé dans les papiers du vieillard un testament commencé, duquel il était exclu ?)

« — Je connais tout le mal qu’on a voulu me faire ; je n’en ai que peu ou point de ressentiment, et je fais en sorte de ne m’en pas occuper… Je voudrais pouvoir jouer dans votre affaire le personnage de conciliateur. Je m’y prêterais peut-être, si M. Duverney m’avait fait la plus petite ouverture sur les affaires que vous aviez avec lui ; il a voulu que ce fût un secret pour moi, etc.

« J’ai pensé, même avant que vous ne le disiez, que, s’il avait vécu trois mois de plus, on n’aurait trouvé aucune trace des choses qu’il faut aujourd’hui que vous mettiez au jour. Il a été surpris par la mort, pour nous donner l’avertissement qu’il est des affaires qu’on ne doit jamais remettre au lendemain. Je connais assez celles qu’il vous laisse à démêler avec son héritier, pour que je ne veuille pas y jouer un rôle : je vous prie donc, monsieur, de ne pas me presser sur cela, etc.

« Signé Dupont. »

Et ces lettres aussi, je les joins au procès : car tout fait concours de preuves en cette défense. Qu’il ose les attaquer, ces preuves ! il me fera plaisir.

Voilà comment il avait l’art d’écarter du testateur tout ce qui lui faisait ombrage ; et voilà comment, le suivant de ruse en ruse, je parviens à démasquer par degrés ce légataire intéressé contre qui je plaide depuis huit ans.

On voit par ces aveux d’un homme honnête, et qui jugeait froidement alors, dans quelles dispositions atroces était à mon égard ce vindicatif héritier, et par quelle voie il entendait déjà satisfaire la haine invétérée qui lui faisait dire ingénument quelquefois : « Depuis dix ans je hais ce Beaumarchais comme un amant aime sa maîtresse ! » À quoi je n’ai pu m’empêcher d’appliquer la reflexion suivante (page 352 de mon mémoire au conseil) :

« Quel horrible usage de la faculté de sentir ! et quelle âme ce doit être que celle qui peut haïr avec passion pendant dix ans ! Moi qui ne saurais haïr dix heures sans être oppressé, je dis souvent : Ah ! qu’il est malheureux ce comte Falcoz ! ou bien : Il faut qu’il ait une âme étrangement robuste ! » Et tous ces nouveaux traits, comme on le voit, méritaient bien d’être placés dans un recueil intitulé : les Ruses du comte de la Blache.

Enfin, voilà M. Duverney mort, à mon grand regret, et son légataire en possession, à son grand plaisir. Tout ce qui précéda cet instant fut l’effet de sa frayeur ; tout ce qui l’a suivi est celui de sa vengeance et de son avarice.

Je sais bien qu’il déprécie autant qu’il peut la fortune de ce grand-oncle en en parlant, pour nous apitoyer, bonnes gens, sur son pauvre héritage ! Et cependant s’il est riche, s’il figure, tout ce qu’il a dans le monde, il le tient de la munificence de ce généreux parent : oui, de lui seul. — Qu’aviez-vous, sans lui, de votre chef ? — Ma noblesse. — Eh ! vous la traîneriez, monsieur, si son or ne l’avait pas richement rehaussée, et si tout son papier n’eût pas renforcé votre parchemin.

Mais ne vous a-t-il laissé de quoi soutenir noblement votre nom que pour le dégrader après lui par des vilenies, et pour souiller le sien, que vous deviez vénérer ?

Laissons cela ! mon cœur s’indigne, et je sens que j’irais trop loin. Mais aussi se voir appeler fripon, faussaire, etc., pendant dix ans, par un tel homme ! Qui pourrait le soutenir ?

Tous ceux qui ont du sang aux ongles, et qui voient ce qu’il m’a fallu de patience, de force et de courage pour soutenir et repousser tous les maux qu’il m’a faits, sentiront bien que j’ai raison ! Mais laissons cela.

Je passerai sous silence tout ce qui tient au funeste instant de la mort de mon respectable ami. Je tairai comment le comte de la Blache s’est emparé de ses derniers moments, et comment mes