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bas de la lettre ! N’est-ce donc rien, à votre avis ?

Ma foi, c’est peu de chose, dit avec ennui le comte de la Blache. Presque rien, reprend l’écho ; rien du tout, ajoutent ceux-ci. D’ailleurs, comment ce fragment prouverait-il qu’il y avait un commerce particulier entre M. Duverney et vous ?

— Mon Dieu ! j’y vais venir ; et si ce post-scriptum ne le prouve pas encore, il est au moins la douce transition d’une correspondance ostensible et de main de secrétaire, au commerce libre et dégagé dont j’espère avant peu vous convaincre. Patience, messieurs, patience ! En attendant, encore une pièce inutile au sac.

J’avais écrit à M. Duverney que je partais pour Versailles ; et comme il était dans l’usage d’envoyer à la reine, à madame la dauphine, à Mesdames, les prémices de ses serres chaudes pour faire sa cour, et qu’indépendamment des autres soins que je prenais pour lui, je me chargeais toujours d’offrir ces petits dons à la famille royale, il me répond, tout de sa main, ce qui ne lui arrivait jamais, comme ON sait fort bien, et comme ON l’a certifié aux soussignés :

« Je fis demander hier à mon jardinier, monsieur, s’il avait des ananas ; mais il m’a fait dire ce matin qu’il n’en aurait au plus tôt que dans huit jours. J’en suis d’autant plus fâché, que j’aurais été fort aise de profiter de cette petite occasion pour faire ma cour à madame la dauphine et à Mesdames, etc… Signé Pâris Duverney. » Et sur l’adresse : À M. de Beaumarchais, aussi de sa main.

Si cette réponse n’est pas écrite sur le même papier de ma lettre, c’est que l’objet, n’étant pas important, n’exigeait point cette précaution usitée entre nous dans les affaires secrètes ; mais au moins sommes-nous entièrement sortis du commerce bureaucratif.

Je suis, comme on voit, un bon petit jeune homme, qui fait bien les commissions de M. Duverney près de la famille royale : il me charge des fleurs et des fruits de son jardin ; je les présente, il m’en sait bon gré ; il m’en remercie verbalement, il m’en écrit obligeamment, tout de sa main. Voilà déjà un petit mystère : nous avançons en preuves.

Pardieu ! si vous avancez, vous n’avancez pas vite, me dit le comte de la Blache impatient, et je ne vois pas encore…

Et moi bien humblement, comme Panurge au marchant Dindenaut : Patience, ami, patience ! Nous ne sommes plus à Paris, où vos imputations faisaient hausser les épaules à tout le monde par l’excès de leur ridicule, où tout ceci n’était que trop connu. Nous sommes dans Aix, devant des magistrats et un public très-peu instruits du fond de notre affaire. Eh ! lorsque vous avez noyé dans cinquante-huit mortelles pages d’injures vos innocentes calomnies, ne puis-je à mon tour employer quelques feuillets à mes petites justifications ? Patience, ami, patience ! et ne laissons pas manquer au sac une pièce de plus, très-inutile à l’acte du 1er  avril.

Enfin, comme j’allais et venais fort souvent de Paris à Versailles, et que je n’avais que deux chevaux de carrosse, M. Duverney me propose, un beau jour, de m’en donner deux autres, pour être mieux marchant, me dit-il : car il pensait, comme le maréchal de Belle-Isle, qu’il ne faut que deux choses pour mener beaucoup d’affaires à la fois : du pain pour vivre, et des chevaux pour courir. Il m’en proposa donc deux autres ; et moi, qui n’étais pas aussi fier avec lui que je le suis avec le seigneur ON qui me plaide, je les accepte ; et pour les faire prendre chez lui, je remets à mon cocher une lettre badine, dans laquelle on lit ces mots : « Monsieur,

« Je vous réitère mes actions de grâces de tous vos bienfaits, et notamment du dernier, qui est ni de vos deux chevaux d’artillerie. Je les féliciterai d être vigoureux : car, quoique je ne sois pas aussi lourd qu’un canon, ils regagneront bien avec moi, par la fréquence des courses, ce qu’ils auront perdu de tirage sur la pesanteur sp icifique du premier personnage. Je ne devais les faire prendre qu’à mon retour de Versailles ; « miisj xi rJi iln pi il vaut mieux qu ils y îillent à pied en m’y menant, que moi à pied en ne les y menant pas ; parce que je vais faire aller ceux que je destine y r la campagne en chevaux de « mouture, etc., i te.

Toute la lettre est de ce ton badin. Et M. Duverney, qui ne se souciait pas qu’ON sût qu’il me faisait des présents de chevaux, parce que le seigneur ON, alerte en fait d’héritage, avait les yeux ouverts sur l’écurie comme sur la cassette ; M. Duverney, qui d’ailleurs avait ses raisons pour qu’un style ger de ma part ne put tomber aux mains de nos espions, me répond cette fois, sur le même papier, de sa main, tout à travers mon écriture, ces mots aussi simples que clairs… Me--ieiirs. voulez-vous lire vous-mêmes ?… Voyons, voyons, dit l’héritier ; voyons, dit l’écrivain en s’approchant ; voyons donc à la fin, disent les soussignés en essuyant les verres de leurs lunettes.

« Pour essayer ces chevaux, ils sont allés à l’École militaire : c’est pourquoi vous ne pouvez les avoir qu’après-demain. »

— Et c’est bien là son écriture ? — Messieurs, vous vous en assurerez : je vais joindre la pièce au procès, quoique inutile à l’acte du 1er  avril 1770, qui allait fort bien sans ces deux chevaux.

Qu’est-ce donc, monsieur le comte ? vous froncez le sourcil : et votre joli minois bouffe de chérubin soufflant s’allonge et se rembrunit un peu ! Remettez-vous : ce n’est rien. Ne voyez-vous pas que, dans cette lettre, je lui rends des actions de grâces de ses bienfaits, et que je la finis par le profond respect avec lequel je suis, etc. ? N’y voyez-vous pas