Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/473

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prends ces huit sous pour ta peine et ton présent. — Ma foi ! monsieur, ça ne les vaut pas. » Il court, et je me renferme.

Quel est donc ce nouvel écrit qu’on répand avec autant d’affectation que de profusion ? Je l’ouvre, et je vois une seconde édition d’un mémoire apporté par le comte de la Blache en 1776, et dont il avait alors inondé la Provence.

Je l’avais lu dans le temps ; je l’avais trouvé si pitoyable et tellement répondu par tous mes précédents écrits, que j’avais empêché mes conseils de s’en occuper, dans une consultation pour moi faite à Paris, où l’on s’attachait uniquement au fond de l’affaire, et sans s’y permettre un mot qui sentît la personnalité.

Ce procès, leur disais-je, est si clair et si bien connu, et le comte de la Blache a payé si cher le mal qu’il a voulu me faire, que je ne dois pas chercher à renouveler sa peine. Occupons-nous seulement à gagner le procès. Dans ma position, le bruit et l’éclat m’importuneraient beaucoup : des raisons froides et simples, une discussion forte et légale, telle est la production que je désire uniquement de vous.

Depuis mon départ de Paris, ce mémoire à consulter s’y était fait, ainsi que la consultation ; destiné seulement pour nos juges, on n’en avait pas tiré plus de cent exemplaires, et j’en avais remis un au procureur du comte de la Blache, à l’arrivée du ballot à Aix.

Lecture faite au conseil de mon adversaire, et mon silence lui faisant penser qu’il m’avait laissé sans réplique à ses imputations, il a cru qu’il devait courir au jugement et renouveler dans toute la province les injures qu’il y avait semées il y a deux ans. Il a donc vivement pressé les magistrats, que je sollicitais de mon côté, de hâter l’instruction de l’affaire ; et, triomphant de ma modération, il a versé de nouveau dans le public trois ou quatre mille exemplaires de sa consultation.

Mes amis et mes conseils, étonnés du froid mépris que je montrais pour cette injure et ces derniers cris d’un adversaire aux abois, en ont conclu que j’ignorais combien ses discours et ses ruses avaient échauffé les esprits dans cette ville. Votre défense est incomplète, ont-ils dit, si vous ne détruisez pas les impressions qu’il a répandues contre vous. Il vous donne ici pour un maladroit fripon, fabricateur grossier des fausses apparences d’une intimité, d’une correspondance familière qui n’exista jamais entre vous et M. Duverney. Vous n’êtes plus à Paris, où tout était connu ; les choses ici sont poussées au point que, sur votre silence même, vous courez risque d’être accablé par la prévention : car votre adversaire est d’un glissant, d’une activité, d’un insinuant, d’une adresse !… et ses amis !…

Enfin, les miens me l’ont tant répété, m’ont si bien prouvé la nécessité de relever ses calomnies, que, sans m’affecter de leur appréhension, je leur ai dit : Puisque vous pensez, messieurs, qu’il importe à mon honneur, si ce n’est pas à mon procès, d’enlever à l’ennemi le fruit éphémère de sa misérable intrigue, et son triomphe d’un jour en ce pays, oublions donc encore une fois qu’il est humiliant de se justifier, et, laissant pour un moment d’honorables travaux, ne posons pas la plume que son frêle et ridicule édifice ne soit renversé de fond en comble.

Il en résultera seulement un mal, imprévu par vous, mais très-certain pour moi : c’est qu’il n’aura pas plus tôt vu son masque arraché par cet écrit, qu’il va mettre autant d’obstacles, d’entraves au jugement du procès qu’il a l’air aujourd’hui d’en souhaiter la fin.


Commençons.


De puissantes recommandations avaient allumé pour moi le zèle de M. Duverney.

De grands motifs y avaient fait succéder la tendresse et la confiance.

De pressants intérêts avaient remué plus d’un million entre nous deux.

Partie avait été employée pour son service, et partie pour le mien.

Aucun compte, pendant dix ans, n’avait nettoyé des intérêts aussi mêlés.

Une foule de pièces existaient entre ses mains ou dans les miennes.

Un arrêté de compte était devenu indispensable.

Cet arrêté fut signé le 1er avril 1770. Trois mois après, M. Duverney mourut sans en avoir acquitté le reliquat.

Il se montait à quinze mille francs, que je demandai à son légataire universel.

Sur ma demande, il me fit un procès, qui dure entre nous depuis huit ans.

Je l’ai gagné, avec dépens, aux requêtes de l’hôtel, à Paris, en 1772.

Sur appel à la commission d’alors, je l’ai reperdu, au rapport du sieur Goëzman, en 1773.

En 1775, l’arrêt de Goëzman a été cassé tout d’une voix au conseil du roi ; les parties renvoyées au parlement d’Aix, où nous sommes en instance.

En 1776, le comte de la Blache a frappé la Provence du fléau de sa consultation, qui n’est qu’un lourd commentaire de toutes les injures imprimées dont il m’accable depuis que nous plaidons.

De ma part tout est dit, pour l’instruction des juges et du procès, sur l’acte du 1er avril 1770, attaqué avec tant de fureur et si peu de moyens.

Telles sont mes défenses : un mémoire aux requêtes de l’hôtel signé Bidault ; un autre à la commission, signé Falconnet ; un précis sur délibéré (le sieur Goëzman, rapporteur) ; mes quatre grands mémoires contre ce dernier et consorts, où le procès la Blache, auteur de celui-là, revient à chaque instant ; un autre mémoire au conseil du