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inculper M. Goëzman ; tout son objet est de se défendre de l’accusation à laquelle sa dénonciation a donné lieu.

Maintenant que les faits ont été discutés et les principes établis, il ne reste plus au suppliant qu’à mettre sous les yeux de la cour les preuves que fournit l’instruction : s’il en résulte qu’il n’a demandé et sollicité que des audiences, l’accusation en corruption de juge, intentée contre lui sur la dénonciation de M. Goëzman, sera démontrée fausse et calomnieuse.

Or, que disent les témoins ?

La dame le Jay a déposé que madame Goëzman avait reçu cent louis pour une audience, et qu’elle en avait exigé et retenu quinze autres. Le sieur Bertrand Dairolles n’a cessé de dire et de répéter, dans sa déposition et dans ses interrogatoires, que lorsqu’il s’adressa à la dame le Jay pour l’engager à parler à M. Goëzman, il lui observa que ceux qui s’intéressaient pour le suppliant , ne lui avaient parlé que d’audiences ; que ses sollicitations personnelles ne s’étendaient pas au delà ; que lorsqu’il eut fait deux rouleaux des cent louis, il les remit au sieur le Jay, en lui disant encore qu’on ne lui avait parlé que d’entrevues et d’audiences ; qu’il ne se serait pas chargé de la commission, s’il y soupçonnait de la malhonnêteté.

Le sieur le Jay, par la main duquel les cent louis et la montre ont été donnés, dit pareillement qu’il n’avait demandé autre chose à madame Goëzman que des audiences pour le suppliant.

Mais écoutons madame Goëzman elle-même ; voici ce qu’elle a dit dans son récolement, dans lequel elle a toujours persisté comme contenant vérité : Jamais le sieur le Jay ne m’a présenté d’argent pour gagner le suffrage de mon mari, que l’on sait être incorruptible ; mais il sollicitait seulement des audiences auprès de moi pour le sieur de Beaumarchais.

Deux faits sont constatés par cette déclaration, que madame Goëzman a réitérée dans le supplément de mémoire qu’elle vient de distribuer : le premier, que jamais le sieur le Jay ne lui a présenté de l’argent pour gagner le suffrage de son mari (écartons donc ici toute idée de corruption) ; le second, que toutes les sollicitations du sieur le Jay se sont bornées à demander des audiences pour le suppliant. Il n’était donc question que d’audiences, et non de séduction. Le suppliant n’entendait point gêner le suffrage de M. Goëzman, mais seulement le voir et lui expliquer son affaire ; en lui demandant une audience, le suppliant ne lui demandait qu’un acte de justice.

Concluons donc que le suppliant n’a jamais demandé que des audiences ; que tout son objet était de voir son juge, pour l’instruire et discuter avec lui l’arrêté de compte, les lettres et toutes les autres pièces, et repousser à ses yeux les traits envenimés de la calomnie. Voilà le motif qui lui a fait désirer si ardemment de voir son rapporteur, motif aussi juste qu’honnête.

Mais ce qui n’est pas honnête, c’est tout ce qui s’est passé à l’occasion de la déclaration du sieur le Jay. Il est prouvé au procès que M. Goëzman est l’auteur de cette déclaration ; qu’il a mandé le sieur le Jay chez lui ; qu’en sa présence il en a rédigé le projet, et qu’il la lui a ensuite dictée sur la minute qu’il en avait dressée. Madame Goëzman en convient elle-même dans son mémoire, page 23, en ces termes : Le sieur le Jay pria mon mari dre lui arranger, dans la forme d’une déclaration, les faits dont il venait de lui rendre compte : il fut en conséquence fait un brouillon, que mon mari corrigea en plusieurs endroits. Ce brouillon a donc été l’ouvrage de M. Goëzman et de sa femme, qui assistait à l’opération. Mais pourquoi tant de précautions ? Pourquoi exiger du sieur le Jay un acte fabriqué dans les ténèbres ? Pourquoi du moins ne le pas laisser maître de rédiger la déclaration d’après ses propres connaissances ? Pourquoi enfin corriger en plusieurs endroits le brouillon qui venait d’être écrit ? Nimia prsecautio’lotus : c’est encore le langage de la loi. N’est-il pas évident que M. Goëzman a fabriqué cette déclaration clandestine que pour disculper sa femme, en inculpant le suppliant par l’imputation de faits absolument faux, et en inculpant même le sieur le Jay, qui avait eu la faiblesse de se lier à lui ? Mais qu’est-il arrivé ? Sur la dénonciation de M. Goëzman aux chambres, M. le procureur général a rendu plainte ; le sieur le Jay a été entendu comme témoin ; la. vérité a repris tout —mi empire sur cet homme simple, mais honnête : il a déclaré sous la religion du serment les faits tels qu’ils s’étaient passés ; il a dit que les présents n’avaient été faits que pour obtenir des audiences ; que la déclaration par lui signée elie/. M. Goëzman lui avait été suggérée et dictée par ce magistrat. Décrété de prise de corps et mis au secret, il a persisté à soutenir dans son interrogatoire les faits tels qu’il les avait déclarés dans sa déposition ; il n’a varié ni aux récolements ni aux confrontations. Que devient après cela la déclaration qui lui a été surprise ? M. Goëzman ne l’a fabriquée que pour perdre le suppliant ; mais elle le perdra lui-même, puisqu’elle prouve de sa part une manœuvre indigne, non-seulement de tout magistrat, mais même de tout homme à qui il reste un peu de sentiment. N’est-ce pas en effet une perfidie de sa part, de tirer du sieur le Jay cette fatale déclaration qu’il lui a dictée, pour ensuite le dénoncer à la justice et l’impliquer dans un procès criminel ? Car s’il y avait du crime dans les démarches faites auprès de mafame Goëzman, le sieur le Jay serait le premier coupable : M. Goëzman aurait donc abusé de la faiblesse de cet homme simple, en lui surprenant à titre de confiance cette déclaration, et en s’en servant ensuite contre lui.