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MÉMOIRES.

de M. Goëzman, soigneusement gardée par M. Goëzman, et déposée au greffe par M. Goëzman ; sur quelle minute le commis de le Jay a-t-il donc copié la déclaration que madame Goëzman nous représente aujourd’hui ? car encore faut-il que ce commis ait fait sa copie sur une minute quelconque ; et ce ne peut pas être sur celle de le Jay, puisque, selon vous-même, elle est restée à M. Goëzman, et que ce commis n’a jamais eu l’honneur d’entrer chez vous.

Direz-vous que, de retour, le Jay a eu la mémoire assez bonne pour rendre exactement chez lui ce qu’on lui avait dicté ailleurs ? Ceux qui connaissent l’honnête, le bon sieur Edme-Jean le Jay, savent bien que M. Goëzman ne pourrait donner une aussi pauvre défaite, sans déshonorer entièrement ses défenses.

Et puis quel intérêt aurait eu le Jay de remettre aux mêmes personnes une copie signée de la déclaration qu’il leur avait laissée en original, s’ils ne l’avaient pas expressément exigée ? et s’ils l’ont exigée, ils n’ont pas dû s’en fier à sa mémoire. Lors qu’on veut une copie, on la veut exacte. Ils ont dû lui confier une minute, et cette minute qu’il emporte ne peut pas être en même temps la sienne, qu’il laisse à M. Goëzman : et je demande, encore une fois, sur quoi donc ce commis a-t-il fait la copie que madame Goëzman représente ?

Si l’on m’objecte que M. Goëzman n’avait pas plus besoin d’exiger une copie signée dont il avait l’original, que le Jay n’avait intérêt de la lui envoyer ; je réponds que, du fait à la possibilité, la conséquence est toujours bonne. Madame Goëzman dépose la copie du commis : donc elle existe, donc elle a été envoyée, donc elle a été exigée, donc surtout elle a été faite sur une minute ; et ma première question revient toujours : Sur quelle minute ce commis de le Jay a-t-il donc tiré la copie que madame Goëzman représente ?

Mais madame Goëzman a peut-être subtilement dérobé la minute de le Jay à son mari, et l’a remise à ce libraire en cachette pour qu’il la fît copier, voulant en avoir une expédition ? — Non pas, s’il vous plaît : quand elle n’aurait pas déclaré positivement que la minute de le Jay n’est point sortie des mains de son mari, voici ma réplique : C’est que la copie écrite par le Jay, sous la dictée de madame Goëzman tenant la minute de son mari, est aussi inexacte qu’on devait l’attendre de pareils secrétaires. Que n’ai-je pu la copier ! des mots oubliés qui détruisent le sens ; d’autres mots oubliés qui ne font que gâter le style ; d’autres enfin oubliés qui ne font rien au style ni au sens, mais qui se trouvent parfaitement rétablis dans celle du commis.

Or, si la copie du commis eût été faite sur celle de le Jay, on y verrait les mêmes fautes ; ou si elle ne les portait pas, elle serait au moins libellée de même. La copie de le Jay a une date ; elle en aurait une aussi ; loin de cela, cette copie du commis est claire et suivie ; on voit qu’elle a été faite par un homme exact, sur la minute d’un homme instruit, sur celle de l’auteur enfin, qui ne l’avait pas datée parce que ce n’était pas son affaire ; ce qui fait que le commis n’a pas daté non plus sa copie. Elle n’a donc pas été écrite sur une minute de le Jay. Et quand vous devriez vous mettre en colère, jusqu’à ce que vous m’ayez répondu, je demanderai toujours : Sur quelle minute le commis de le Jay a-t-il donc tiré sa copie ?

D’ailleurs, le libraire et son commis ont déclaré qu’ils avaient gardé cette minute énigmatique dix-sept jours chez eux. Ce nombre de jours, indifférent quand ils l’attestaient, ne l’est pas aujourd’hui que nous discutons. Observez qu’on fit, au dos de la déclaration de le Jay, une seconde déclaration (dont nous parlerons en son lieu) écrite aussi par le Jay dix jours après la première, dans la chambre de madame Goëzman, sous la dictée de son mari. Or, ce papier, qui n’est pas sorti des mains de M. Goëzman, qui se trouvait chez lui dix jours après la première déclaration, lorsqu’on écrivait la seconde sur son verso, ne peut pas être en même temps la minute inconnue qui est restée dix-sept jours chez le Jay, et nous avons beau tourner pour fuir : semblables à Enguerrand, que toutes les routes ramenaient au palais de Strigilline, nous retombons toujours dans ma première question : Sur quelle minute ce commis de le Jay a-t-il donc copié la déclaration que madame Goëzman représente ?

Mais ne serait-ce pas sur une certaine minute emportée par le Jay de chez M. Goëzman ? minute qu’il déclare être de la main de M. Goëzman, minute que son commis déclare être d’une écriture étrangère, qu’on lui a dit être celle de M. Goëzman ; minute enfin qu’ils déclarent tous deux leur avoir été lestement soutirée au bout de dix-sept jours par M. Goëzman. Il y a quelqu’un de pris ici : pour le coup le piége s’est subitement fermé, comme on l’avait craint, sur le bras qui le tendait pour me prendre. Nous y laisserons l’imprudent jusqu’à ce qu’il lui plaise de nous apprendre qui a fait la minute de cette déclaration, ou qu’il nous explique autrement l’énigme de la copie du commis de le Jay.

Mais pendant que je fatigue et mon lecteur et moi pour prouver quel est l’auteur de la déclaration, on prétend que M. Goëzman ne nie point du tout qu’il en ait fait la minute. Je n’en sais rien : qu’il la nie ou l’avoue aujourd’hui, cela est indifférent à la question que je traite : car, s’il nie, sa dénégation même prête une nouvelle force à ma preuve tirée de la copie du commis ; en s’obstinant à nier un fait prouvé au procès, il n’en montre que mieux qu’il était instruit, et sentait toute l’iniquité de la pièce qu’il composait ; et s’il avoue, il devient contraire à lui-même et à ma-