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Astasie est une déesse Dans mon cœur souvent combattu, Sa voix sensible, enchanteresse, Faisait triompher la vertu. D’une ardeur toujours renaissante J’offrais sans cesse à sa beauté. Sans cesse à sa beauté touchante, L’encens pur de la volupté. Elle tenait mon âme active Jusque dans le sein du repos : Ah ! faut-il que ma voix plaintive En vain la demande aux échos ! ATAR. Quoil soldat, pleurer une femme ! Ton roi ne te reconnaît pas. Si tu perds l’objet de ta flamme, Tout un sérail t’ouvre ses bras. Faut-il regretter quelques charmes, Quand on retrouve mille attraits ? Mais l’honneur qu’on perd dans les larmes, On ne le retrouve jamais.

TARARE, suppliant. Seigneur !

ATAR. Qu’as-tu donc fait de ton mâle courage Toi qu’on voyait rugir dans les combats ; Toi qui forças un torrent à la nage, En transportant ton maître dans tes bras ? Le fer, le feu, le sang et le carnage N’ont jamais pu t’arracher un soupir ; Et l’abandon d’une esclave volage Abat ton âme et la force à gémir !

TARARE, vivement. Seigneur, si j’ai sauvé ta vie, Si tu daignes t’en souvenir, Laisse-moi venger Astasie Du traître qui l’osa ravir. Permets que, déployant ses ailes, Un léger vaisseau de transport Me mène, vers ces infidèles, Chercher Astasie ou la mort.

SCÈNE IX

CALPIGI, ATAR, ALTAMORT, TARARE.

ATAR. Que veux-tu, Calpigi ? (Bas.) Sois inintelligible.

CALPIGI. Mon maître, cette Irza si chère à ton amour…

ATAR, vivement. Eh bien ?

CALPIGI. Elle est rendue à la clarté du jour.

TARARE, exalté. Atar, ta grande âme est sensible ; La joie a brillé dans tes yeux.

(Un genou en terre.)

Par cette Irza, sultan, sois généreux ; À mes maux deviens accessible.

ATAR. Dis-moi, Tarare, es-tu bien malheureux ?

TARARE. Si je le suis ! ah ! peut-être elle expire !

ATAR. Souhaite devant moi qu’Irza cède à mes vœux ; Je fais ce que ton cœur désire.

CALPIGI, à part. Grands dieux ! je sers un homme affreux !

tarare, se levant, dit avec feu. Charmante Irza, qu’est-ce donc qui t’arrête ? Le fils des dieux n’est-il pas ta conquête ? Puisse-t-il trouver dans tes yeux Ce pur feu dont il étincelle ! Rends, Irza, rends mon maître heureux…

(Calpigi lui fait un signe négatif pour qu’il n’achève pas son vœu.)

… Si tu le peux, sans être criminelle.

ATAR. Brave Altamort, avant le point du jour, Demain qu’une escadre soit prête À partir du pied de la tour. Suis mon soldat, sers mon amour Dans les combats, dans la tempête. (Bas à Altamort.) S’il revoit jamais ce séjour, Tu m’en répondras sur ta tête. (À Tarare.) Et toi, jusqu’à cette conquête, De tout service envers ton roi. Soldat, je dégage ta foi ; J’en jure par Brama.

TARARE, la main au sabre.

Je jure en sa présence
De ne poser ce fer sanglant
Qu’après avoir du plus lâche brigand
Puni le crime et vengé mon offense.

atar, à Altamort.

 Tu viens d’entendre son serment ;
Il touche à plus d’une existence :
Vole, Altamort, et, plus prompt que le vent,
Reviens jouir de ma reconnaissance.

ALTAMORT.

 Noble roi, reçois le serment
De ma plus prompte obéissance.
Commande, Atar, je cours aveuglément
Servir l’amour, la haine, ou la vengeance.

calpigi, à part.

 De son danger, secrètement,
Il faut lui donner connaissance.

(Atar le regarde. Calpigi dit d’un ton courtisan.)

Qui sert mon maître, et le sert prudemment,
Peut bien compter sur sa munificence.

(Ils sortent tous.)