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Qui sait même si, dans le temple des Muses, des lettres et du goût, au centre de la politesse, un orateur bien éloquent, regardant de travers Tarare, ne trouvera pas un moyen ingénieux d’écraser l’auteur et l’ouvrage, à ne s’en jamais relever ; comme il est arrivé au centenaire Figaro, qui, depuis un tel anathème, n’a eu que des jours malheureux, une vieillesse languissante ?

Tous ces moyens de nuire sont bons, efficaces, usités. La haine affamée s’en nourrit ; la malignité les réclame, notre urbanité les tolère ; l’auteur en rit ou s’en afflige, la pièce chemine ou s’arrête ; et tout rentre à la fin dans l’ordre accoutumé de l’oubli : c’est là le dernier des malheurs.

Puisse le goût public et l’acharnement de la haine nous en préserver quelque temps ! Puissent les bons esprits de la littérature adopter mes principes, et faire mieux que moi ! Mes amis savent bien si j’en serai jaloux, ou si j’irai les embrasser. Oui, je le ferai de grand cœur : heureux, ô mes contemporains, d’avoir, au champ de vos plaisirs, pu tracer un léger sillon que d’autres vont fertiliser !

À travers les injures que cet ouvrage m’a values, j’ai reçu quelques vers qui me consoleraient, si j’étais affligé. Entre autres, l’apologue qui suit est si vrai, si philosophique et si juste, que je n’ai pu m’empêcher de lui donner place en ce lieu.


APOLOGUE À L’AUTEUR DE TARARE

Un bon homme, un soir cheminant,
Passait à côté d’un village :
Un chien aboie, un autre en fait autant ;
Tous les mâtins du bourg hurlent au même instant.
Pourquoi, leur dit quelqu’un, pourquoi tout ce tapage ?
Nul d’eux n’en savait rien ; tous criaient cependant.
Des publiques clameurs c’est la fidèle image.
On répète au hasard les discours qu’on entend :
Au hasard on s’agite, on blâme, on injurie ;
On ne sait pas pourquoi l’on crie.
Le sage, direz-vous, méprise ces propos,
Tenus par des méchants, répétés par des sots :
Le sage quelquefois les paya de sa vie
Socrate fut empoisonné ;
Aristide à l’exil fut par eux condamné ;
Ils ont forcé Voltaire à sortir de la France ;
Ils ont réduit Racine à quinze ans de silence.
On leur résiste quelque temps :
Leur fureur à la fin détruit tous les talents.
Demandez-le à la Grèce, à Rome, à l’Italie :
Ils ont dans ces climats, jadis si florissants,
Fait renaître la barbarie.

Par M. ***.


À MONSIEUR SALIERI MAÎTRE DE LA MUSIQUE DE S. M. L’EMPEREUR D’ALLEMAGNE.

Mon ami,

Je vous dédie mon ouvrage, parce qu’il est devenu le vôtre. Je n’avais fait que l’enfanter ; vous l’avez élevé jusqu’à la hauteur du théâtre.

Mon plus grand mérite en ceci est d’avoir deviné l’opéra de Tarare dans les Danaïdes et les Horaces, malgré la prévention qui nuisit à ce dernier, lequel est un fort bel ouvrage, mais un peu sévère pour Paris.

Vous m’avez aidé, mon ami, à donner aux Français une idée du spectacle des Grecs, tel que je l’ai toujours conçu. Si notre ouvrage a du succès, je vous le devrai presque entier : et quand votre modestie vous fait dire partout que vous n’êtes que mon musicien, je m’honore, moi d’être votre poëte, votre serviteur, et votre ami.

Caron de Beaumarchais.


PROLOGUE DE TARARE

PERSONNAGES

LE GÉNIE de la reproduction des êtres, ou la Nature.

LE GÉNIE DU FEU, qui préside au Soleil, amant de la Nature

L’OMBRE D’ATAR, roi d’Ormus.

L’OMBRE DE TARARE, soldat.

L’OMBRE D’ALTAMORT, général d’armée.

L’OMBRE D’ARTHENÉE, grand-prêtre de Brama.

L’OMBRE D’URSON, capitaine des gardes d’Atar.

L’OMBRE D’ASTASIE, femme de Tarare.

L’OMBRE DE SPINETTE, esclave du sérail.

L’OMBRE DE CALPIGI.

UNE OMBRE femelle.

Foule d’ombres des deux sexes, composée de tout ce qui paraîtra dans la pièce.

SCÈNE I

LA NATURE et les VENTS décharnés. L’ouverture fait entendre un bruit violent dans le, airs, un choc terrible de tous les éléments. La toile, en se levant, ne montre que des nuages qui roulent, se déchirent, et Lussent voir les Vents déchaînés ; ils forment, en tourbillonnant, des danses de la plus violente agitation.

LA NATURE s’avance au milieu d’eux, une burjuelle à la main, ornée de tous les attributs qui la caractérisent, et leur dit impérieusement : C’est assez troubler l’univers : Vents furieux, cessez d’agiter l’air et l’onde. C’est assez, reprenez vos fers : Que le seul Zéphyr règne au monde’. [L’ouverture, le Initil et le mouvement continuent.) CHŒUR DES VENTS déchaînés. Ne tourmentons plus l’univers : Cessons d’agiter l’air et l’onde. Malheureux, reprenons nos l’ers : L’heureux Zéphyr seul règne au monde. [Ils se précipitent dans les nuages inférieurs. Le Zéphyr s’élève dans les airs. L’ouverture et le bruit s’apaisent par