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AUX ABONNÉS DE L’OPÉRA.

celle-ci, dénué de l’intérêt du poème, amusant à peine l’oreille, le cède bientôt à la danse, qui de plus amuse les yeux. Dans cette subversion funeste à l’effet théâtral c’est toujours, comme on voit, le plaisir que l’on cherche : tout le reste est indifférent. Au lieu de m’inspirer un puissant intérêt, si l’opéra ne m’offre qu’un puéril amusement, quel droit a-t-il à mon estime ? Le spectateur a donc raison : c’est le spectacle qui a tort.

Boileau écrivait à Racine : On ne fera jamais un bon opéra. La musique ne sait pas narrer. Il avait raison pour son temps. Il aurait pu même ajouter : La musique ne sait pas dialoguer. On ne se doutait pas alors qu’elle en devint jamais susceptible.

Dans une lettre de cet homme qui a tout p écrit ; dans une lettre de Voltaire à Cideville, en 1732, on lit ces mots bien remarquables : « L’opéra n’est qu’un rendez-vous public, où l’on s’assemble à certains jours, sans trop savoir pourquoi : c’est une maison où tout " le monde va, q pi on pense mal du maiti ennuyeux.

Avant lui, la Bruyère avait dit : « On voit bien que I opéra est l’ébauche d un grand spectacle, il en donne l’idée; mais je ne sais pas comment l’opéra, avec une « musique si parfaire et une dépense toute royale, a pu .’ réussir .1 m’ennuyi

Ils disaient librement ce que chacun éprouvait, malgré je ne sais quelle vanité nationale qui portait tout le monde à le dissimuler. Quoi ! de la vanité jusque dans l’ennui d’un spectacle ! Je dirais volontiers comme l’abbé Basile ; Qui e /-, e donc qu’on trompe ici ? Tout le monde est dans le secret !

Quant à moi, qui suis né très-sensible aux charmes de la bonne musique, j’ai bien longtemps cherché pourquoi l’opéra m’ennuyait, malgré tant de soins et de frais employés à l’effet contraire ; et pourquoi tel morceau détaché qui me charmait au clavecin, reporté du pupitre au grand cadre, était près de me fatiguer s’il ne m’ennuyait pas d’abord ; et voici ce que j’ai cru voir.

Il y a trop de musique dans la musique du théâtre, elle en est toujours surchargée ; et, pour employer l’expression naïve d’un homme justement célèbre, du célèbre chevalier Gluck, notre opéra pue de musique : puzza di musica.

Je pense donc que la musique d’un opéra n’est, comme en poésie, qu’un nouvel art d’embellir la parole, dont il ne faut point abuser.

Nos poëtes dramatiques ont senti que la magnificence des mets, que tout ce luxe poétique dont l’ode se pare avec accès, était un ton trop exalté pour la scène : ils ont tous vu que, pour intéresser au théâtre, il fallait adoucir, apaise cette poésie éblouissante, la 1 de la nature, l’intérêt du spectacli exigeant une vérité incompatible avec ce luxe. Cette réforme faite, heureusement pour nous, dans la imatique, nous restait 1 tenl du théâtre. Or, s’il esl vn mi on n’en peut douter, que la musique soit à l’opéra ce que le ; vers sont à la . , . m. ■ manière seu- i ni plus forte de présenter le sentiment ou la pen- i d’abuser de ce genre d mi ttre trop de luxe 1 re de peindre. Une ■ : ii h e étouff . 1 teint la vérité : l oreille est . 1 le eu ni resi a l’expérience de tous. .Mais que era-ce donc, si le musicien orgueilleux,

éni veul do r le poëte, ou faire 

[i ui , 1 irée? Le sujet devient ce qu il peut . "h h j sent plus qu’incohérence d’idées, divi- sion d’effets, et nullité d’ensemble : car deuxeffel di t mets et séparés n icourir à cette unité qu’où désire, et sans laquelle il n’est point de charme au spec- tacle. De même qu’un auteur français dit à son traducteur : <• Monsieur, êtes-vous d’Italie? traduisez-moi cette œuvre en italien, mais n’y mettez rien d’étranger; - poète d’un niais à mon partenaire: < Ami, vous êtes musi- cien : traduisez ce poëme en musique; mais n’allez pas, comme Pindare, vous égarer dans vus images,

r et Pollux sur le triomphe d’unathlète, car 

ce n’est pas d’eux qu’il s’agit. » Et si mon musicien possède un vrai talent, s’il réflé- chit avant d’écrire, il sentira que son devoir, que son nsiste à rendre mes pensées dans une langue seulement plus harmonieuse; à leur donner une expres- sion plus forte, et non à faire une œuvre à part. L’im- 11 veut briller seul n’est qu’un phosphore, un 1 lu n he-t-il à vivre sans moi, il ne fait plus que végéter : un orgueil si mal entendu tue son existence et la mienne; il meurt au dernier coup d’archet, et nous précipite à grand bruit, du théâtre au fond de l’Érèbe. Je ne puis assez le redire, et je prie qu’on y réfléchisse: trop de musique dans la musique est le défaut de nos grands opéras. Voilà pourquoi tout y languit . Sitôt que l’acteur chante, la scène se repose (je dis s’il chante pour chanter) ; et partout où la si. intérêt est anéanti. Mais, direz-vous, si faut-il bien qu’il chante, puisqu’il n’a pas d’autre idiome! — Oui, mais tâchez que je l’oublie. L’art du compositeur serait d’y parvenir. Qu’il chante le sujet comme on le versifie, uniquement pour le parer: que j’y trouve un charme de plus, non un sujet de dis- traction. « Moi. qui toujours ai chéri la musique, sans incon- stance et même sans infidélité, souvent, aux p » m’attachent le plus, je me surprends à pousser de l’épaule, à dire tout bas avec humeur : Va donc, musique ! « Pourquoi tant répéter? N’es-tu pas assez lenti ’ Au n lieu de narrer vivement, tu rabâches ; au lieu de peindre « la passion, tu t’accroches oiseusement aux mots ’ ! «  Qu’arrive-t-il de tout cela? Pendant qu’avare de pa- roles, le poète s’évertue à serrer son style, à bien con- centrer sa pensée; si le musicien, au rebours, délaye, allonge les syllabes, et les noie dans des fredons, leur ote la force ou le sens; l’un tire à droite. l’autre à lui he on ne sait plus auquel entendre : le triste bâillement me ennui me chasse de la salle. Que demandons-nous au théâtre? qu’il nous procure du plaisir. La réunion de tous les arts charmants devrait vifs à l’opéra. N’est-ce pas de leur union même que ce spectacle a pris son nom? Leur déplacement, leur abus en a fait un séjour d’ennui. Essayons d’y ramener le plaisir, en les rétablissant dans l’ordre naturel, et suis priver ce grand théâtre il aucun des avantages qu’il offre ; c’est une belle tâche à remplir. Aux efforts qu’on a faits depuis Iphigénie, Air / . et le chevalier Gluck, pour améll : 1 rvations sur le poème et son Posons une saine doctrine, joignons un exemple au précepte, et tâchons d’entraîner le~ suffi l’heureux concours de tous deux. Souvenons-nous d’abord qu’un opéra n’est poim une tragédie, qu’il n’est peint une comédie; qu’il participe de 1 hac , et peut embrasser tous les j Je ne prendrai donc point un sujet qui le t leviendrait si sévère, que 1 ti mbanl des s en détruiraient tout l’intérêt. Éloignons-nous également d’une intrigue purement comique,

. lYt-face du Barbier de Sëville.