Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/280

Cette page n’a pas encore été corrigée

Bégearss se remet, et dit d’un ton pénible : J’espère, Monsieur, que vous n’exigez pas qu’on s’explique devant vos gens. J’ignore quel dessein vous fait surprendre ainsi Madame ! Quant à moi, je suis résolu de soutenir mon caractère en rendant un hommage pur à la vérité quelle qu’elle soit.

Le Comte, à Figaro et à Suzanne : Sortez tous deux.

Figaro : Mais, Monsieur, rendez-moi du moins la justice de déclarer que je vous ai remis le récépissé du notaire, sur le grand objet de tantôt !

Le Comte : Je le fais volontiers, puisque c’est réparer un tort. (A Bégearss.) Soyez certain, Monsieur, que voilà le récépissé. (Il le remet dans sa poche. Figaro et Suzanne sortent chacun de leur côté.)

Figaro, bas à Suzanne, en s’en allant : S’il échappe à l’explication…

Suzanne, bas : Il est bien subtil !

Figaro, bas : Je l’ai tué !

Scène VIII : La Comtesse, Le Comte, Bégearss.

Le Comte, d’un ton sérieux : Madame, nous sommes seuls.

Bégearss, encore ému : C’est moi qui parlerai. Je subirai cet interrogatoire. M’avez-vous vu, Monsieur, trahir la vérité dans quelque occasion que ce fût ?

Le Comte, sèchement : Monsieur… Je ne dis pas cela.

Bégearss, tout à fait remis : Quoique je sois loin d’approuver cette inquisition peu décente, l’honneur m’oblige à répéter ce que je disais à Madame, en répondant à sa consultation :

"Tout dépositaire de secrets ne doit jamais conserver de papiers s’ils peuvent compromettre un ami qui n’est plus, et qui les mit sous notre garde. Quelque chagrin qu’on ait à s’en défaire, et quelque intérêt même qu’on eût à les garder, le saint respect des morts doit avoir le pas devant tout." (Il montre le Comte.) Un accident inopiné ne peut-il pas en rendre un adversaire possesseur ? (Le Comte le tire par la manche pour qu’il ne pousse pas l’explication plus loin.)

Auriez-vous dit, Monsieur, autre chose en ma position ? Qui cherche des conseils timides, ou le soutien d’une faiblesse honteuse, ne doit point s’adresser à moi ! vous en avez des preuves l’un et l’autre, et vous surtout, Monsieur le Comte ! (Le Comte lui fait un signe.) Voilà sur la demande que m’a faite Madame, et sans chercher à pénétrer ce que contenaient ces papiers, ce qui m’a fait lui donner un conseil pour la sévère exécution duquel je l’ai vue manquer de courage ; je n’ai pas hésité d’y substituer le mien, en combattant ses délais imprudents. Voilà quels étaient nos débats ; mais, quelque chose qu’on en pense, je ne regretterai point ce que j’ai dit, ce que j’ai fait. (Il lève les bras.) Sainte amitié ! tu n’es rien qu’un vain titre, si l’on ne remplit pas tes austères devoirs. Permettez que je me retire.

Le Comte, exalté : O le meilleur des hommes ! Non, vous ne nous quitterez pas. — Madame, il va nous appartenir de plus près ; je lui donne ma Florestine.

La Comtesse, avec vivacité : Monsieur, vous ne pouviez pas faire un plus digne emploi du pouvoir que la loi vous donne sur elle. Ce choix a mon assentiment si vous le jugez nécessaire, et le plus tôt vaudra le mieux.

Le Comte, hésitant : Eh bien !… ce soir… sans bruit… votre aumônier…

La Comtesse, avec ardeur : Eh bien ! moi qui lui sers de mère, je vais la préparer à l’auguste cérémonie : mais laisserez-vous votre ami seul généreux envers ce digne enfant ? j’ai du plaisir à penser le contraire.

Le Comte, embarrassé : Ah ! Madame… croyez…

La Comtesse, avec joie : Oui, Monsieur, je le crois. C’est aujourd’hui la fête de mon fils ; ces deux événements réunis me rendent cette journée bien chère. (Elle sort.)

Scène IX : Le Comte, Bégearss.

Le Comte, la regardant aller : Je ne reviens pas de mon étonnement. Je m’attendais à des débats, à des objections sans nombre ; et je la trouve juste, bonne, généreuse envers mon enfant ! Moi qui lui sers de mère, dit-elle… Non, ce n’est point une méchante femme ! elle a dans ses actions une dignité qui m’impose… un ton qui brise les reproches, quand on voudrait l’en accabler. Mais, mon ami, je m’en dois à moi-même, pour la surprise que j’ai montrée en voyant brûler ces papiers.

Bégearss : Quant à moi, je n’en ai point eu, voyant avec qui vous veniez. Ce reptile vous a sifflé que j’étais là pour trahir vos secrets ? de si basses imputations n’atteignent point un homme de ma hauteur ; je les vois ramper loin de moi. Mais, après tout, Monsieur, que vous importaient ces papiers ? n’aviez-vous pas pris malgré moi tous ceux que vous vouliez garder ? Ah ! plût au ciel qu’elle m’eût consulté