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La Comtesse : Apportez-nous, mon fils, votre discours : moi, je vais prendre quelque ouvrage, pour l’écouter avec plus d’attention.

Florestine, gaiement : Obstiné ! c’est bien fait ; et je l’entendrai malgré vous.

Léon, tendrement : Malgré moi, quand vous l’ordonnez ? Ah ! Florestine, j’en défie !

La Comtesse et Léon sortent chacun de leur côté.

Scène XII : Florestine, Bégearss.

Bégearss, bas : Eh bien ! Mademoiselle, avez-vous deviné l’époux qu’on vous destine ?

Florestine, avec joie : Mon cher Monsieur Bégearss ! vous êtes à tel point notre ami, que je me permettrai de penser tout haut avec vous. Sur qui puis-je porter les yeux ? Mon parrain m’a bien dit : Regarde autour de toi ; choisis. Je vois l’excès de sa bonté : ce ne peut être que Léon. Mais moi, sans biens, dois-je abuser…

Bégearss, d’un ton terrible : Qui ? Léon ! son fils ? votre frère ?

Florestine, avec un cri douloureux : Ah ! Monsieur !…

Bégearss : Ne vous a-t-il pas dit : appelle-moi ton père ? Réveillez-vous, ma chère enfant ! écartez un songe trompeur, qui pouvait devenir funeste.

Florestine : Ah ! oui ; funeste pour tous deux !

Bégearss : Vous sentez qu’un pareil secret doit rester caché dans votre âme. (Il sort en la regardant.)

Scène XIII : Florestine, seule et pleurant.

O ciel ! il est mon frère, et j’ose avoir pour lui… ! Quel coup d’une lumière affreuse ! et dans un tel sommeil, qu’il est cruel de s’éveiller ! (Elle tombe accablée sur un siège.)

Scène XIV : Léon, un papier à la main, Florestine.

Léon, joyeux, à part : Maman n’est pas rentrée, et Monsieur Bégearss est sorti : profitons d’un moment heureux. — Florestine ! vous êtes ce matin, et toujours, d’une beauté parfaite ; mais vous avez un air de joie, un ton aimable de gaieté, qui ranime mes espérances.

Florestine, au désespoir : Ah, Léon ! (Elle retombe.)

Léon : Ciel ! vos yeux noyés de larmes et votre visage défait m’annoncent quelque grand malheur !

Florestine : Des malheurs ! Ah ! Léon, il n’y en a plus que pour moi.

Léon : Floresta, ne m’aimez-vous plus ? lorsque mes sentiments pour vous…

Florestine, d’un ton absolu : Vos sentiments ? ne m’en parlez jamais.

Léon : Quoi ! l’amour le plus pur…

Florestine, au désespoir : Finissez ces cruels discours, ou je vais vous fuir à l’instant.

Léon : Grand Dieu ! qu’est-il donc arrivé ? Monsieur Bégearss vous a parlé, Mademoiselle, je veux savoir ce que vous a dit ce Bégearss.

Scène XV : La Comtesse, Florestine, Léon.

Léon : Maman, venez à mon secours. Vous me voyez au désespoir : Florestine ne m’aime plus !

Florestine, pleurant : Moi, Madame, ne plus l’aimer ! Mon parrain, vous et lui, c’est le cri de ma vie entière.

La Comtesse : Mon enfant, je n’en doute pas. Ton cœur excellent m’en répond. Mais de quoi donc s’afflige-t-il ?

Léon : Maman, vous approuvez l’ardent amour que j’ai pour elle ?

Florestine, se jetant dans les bras de la Comtesse : Ordonnez-lui donc de se taire ! (En pleurant.) Il me fait mourir de douleur !

La Comtesse : Mon enfant, je ne t’entends point. Ma surprise égale la sienne. Elle frissonne entre mes bras ! Qu’a-t-il donc fait qui puisse te déplaire ?

Florestine, se renversant sur elle : Madame, il ne me déplaît point. Je l’aime et le respecte à l’égal de mon frère ; mais qu’il n’exige rien de plus.

Léon : Vous l’entendez, Maman ! Cruelle fille, expliquez-vous.

Florestine : Laissez-moi, laissez-moi, ou vous me causerez la mort.