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mesure qu’ils arrivent, et dit d’un ton farouche :) Bonjour, messieurs, bonsoir ; êtes-vous tous ici ?

Basile.

Ceux que tu as pressés d’y venir.

Figaro.

Quelle heure est-il bien à peu près ?

Antonio regarde en l’air.

La lune devrait être levée.

Bartholo.

Eh ! quels noirs apprêts fais-tu donc ? Il a l’air d’un conspirateur !

Figaro, s’agitant.

N’est-ce pas pour une noce, je vous prie, que vous êtes rassemblés au château ?

Brid’oison.

Cè-ertainement.

Antonio.

Nous allions là-bas, dans le parc, attendre un signal pour ta fête.

Figaro.

Vous n’irez pas plus loin, messieurs ; c’est ici, sous ces marronniers, que nous devons tous célébrer l’honnête fiancée que j’épouse, et le loyal seigneur qui se l’est destinée.

Basile, se rappelant la journée.

Ah ! vraiment, je sais ce que c’est. Retirons-nous, si vous m’en croyez : il est question d’un rendez-vous ; je vous conterai cela près d’ici.

Brid’oison, à Figaro.

Nou-ous reviendrons.

Figaro.

Quand vous m’entendrez appeler, ne manquez pas d’accourir tous, et dites du mal de Figaro, s’il ne vous fait voir une belle chose.

Bartholo.

Souviens-toi qu’un homme sage ne se fait point d’affaire avec les grands.

Figaro.

Je m’en souviens.

Bartholo.

Qu’ils ont quinze et bisque sur nous par leur état.

Figaro.

Sans leur industrie, que vous oubliez. Mais souvenez-vous aussi que l’homme qu’on sait timide est dans la dépendance de tous les fripons.

Bartholo.

Fort bien.

Figaro.

Et que j’ai nom de Verte-Allure, du chef honoré de ma mère.

Bartholo.

Il a le diable au corps.

Brid’oison.

I-il l’a.

Basile, à part.

Le comte et sa Suzanne se sont arrangés sans moi ? Je ne suis pas fâché de l’algarade.

Figaro, aux valets.

Pour vous autres, coquins, à qui j’ai donné l’ordre, illuminez-moi ces entours ; ou, par la mort que je voudrais tenir aux dents, si j’en saisis un par le bras…

(Il secoue le bras de Grippe-Soleil.)
Grippe-Soleil s’en va en criant et pleurant.

A, a, o, oh ! Damné brutal !

Basile, en s’en allant.

Le ciel vous tienne en joie, monsieur du marié !

(Ils sortent.)



Scène III

FIGARO, seul, se promenant dans l’obscurité, dit du ton le plus sombre.

Ô femme ! femme ! femme ! créature faible et décevante !… nul animal créé ne peut manquer à son instinct : le tien est-il donc de tromper ?… Après m’avoir obstinément refusé quand je l’en pressais devant sa maîtresse ; à l’instant qu’elle me donne sa parole ; au milieu même de la cérémonie… Il riait en lisant, le perfide ! et moi, comme un benêt… Non, monsieur le comte, vous ne l’aurez pas… vous ne l’aurez pas. Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie !… noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus : du reste, homme assez ordinaire ! tandis que moi, morbleu, perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes ; et vous voulez jouter !… On vient… c’est elle… ce n’est personne. — La nuit est noire en diable, et me voilà faisant le sot métier de mari, quoique je ne le sois qu’à moitié ! (Il s’assied sur un banc.) Est-il rien de plus bizarre que ma destinée ! Fils de je ne sais pas qui ; volé par des bandits ; élevé dans leurs mœurs, je m’en dégoûte et veux courir une carrière honnête ; et partout je suis repoussé ! J’apprends la chimie, la pharmacie, la chirurgie ; et tout le crédit d’un grand seigneur peut à peine me mettre à la main une lancette vétérinaire ! — Las d’attrister des bêtes malades, et pour faire un métier contraire, je me jette à corps perdu dans le théâtre : me fussé-je mis une pierre au cou ! Je broche une comédie dans les mœurs du sérail ; auteur espagnol, je crois pouvoir y fronder Mahomet sans scrupule : à l’instant un envoyé… de je ne sais où se plaint que j’offense dans mes vers la Sublime Porte, la Perse, une partie de la presqu’île de l’Inde, toute l’Égypte, les royaumes de Barca, de Tripoli, de Tunis, d’Alger et de Maroc ; et voilà ma comédie flambée, pour plaire aux princes mahométans, dont pas un, je crois, ne sait lire, et qui nous meurtrissent l’omoplate, en nous