Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/225

Cette page a été validée par deux contributeurs.

accroire à monseigneur, quand il entrerait, que le petit page était dans ce cabinet, où je me suis enfermée.

Le Comte.

Qu’as-tu à répondre ?

La Comtesse.

Il n’y a plus rien à cacher, Figaro ; le badinage est consommé.

Figaro, cherchant à deviner.

Le badinage… est consommé ?

Le Comte.

Oui, consommé. Que dis-tu là-dessus ?

Figaro.

Moi ! je dis… que je voudrais bien qu’on en pût dire autant de mon mariage ; et si vous l’ordonnez…

Le Comte.

Tu conviens donc enfin du billet ?

Figaro.

Puisque madame le veut, que Suzanne le veut, que vous le voulez vous-même, il faut bien que je le veuille aussi : mais à votre place, en vérité, monseigneur, je ne croirais pas un mot de tout ce que nous vous disons.

Le Comte.

Toujours mentir contre l’évidence ! À la fin, cela m’irrite.

La Comtesse, en riant.

Eh ! ce pauvre garçon ! pourquoi voulez-vous, monsieur, qu’il dise une fois la vérité ?

Figaro, bas à Suzanne.

Je l’avertis de son danger ; c’est tout ce qu’un honnête homme peut faire.

Suzanne, bas.

As-tu vu le petit page ?

Figaro, bas.

Encore tout froissé.

Suzanne, bas.

Ah ! pécaïre !

La Comtesse.

Allons, monsieur le comte, ils brûlent de s’unir : leur impatience est naturelle ; entrons pour la cérémonie.

Le Comte, à part.

Et Marceline, Marceline… (Haut.) Je voudrais être… au moins vêtu.

La Comtesse.

Pour nos gens ! Est-ce que je le suis ?



Scène XXI

FIGARO, SUZANNE, LA COMTESSE, LE COMTE, ANTONIO.
Antonio, demi-gris, tenant un pot de giroflées écrasées.

Monseigneur ! monseigneur !

Le Comte.

Que me veux-tu, Antonio ?

Antonio.

Faites donc une fois griller les croisées qui donnent sur mes couches ! On jette toutes sortes de choses par ces fenêtres ; et tout à l’heure encore on vient d’en jeter un homme.

Le Comte.

Par ces fenêtres ?

Antonio.

Regardez comme on arrange mes giroflées !

Suzanne, bas à Figaro.

Alerte, Figaro, alerte !

Figaro.

Monseigneur, il est gris dès le matin.

Antonio.

Vous n’y êtes pas. C’est un petit reste d’hier. Voilà comme on fait des jugements… ténébreux.

Le Comte, avec feu.

Cet homme ! cet homme ! où est-il ?

Antonio.

Où il est ?

Le Comte.

Oui.

Antonio.

C’est ce que je dis. Il faut me le trouver, déjà. Je suis votre domestique ; il n’y a que moi qui prends soin de votre jardin ; il y tombe un homme, et vous sentez… que ma réputation en est effleurée.

Suzanne, bas à Figaro.

Détourne, détourne.

Figaro.

Tu boiras donc toujours ?

Antonio.

Eh ! si je ne buvais pas, je deviendrais enragé.

La Comtesse.

Mais en prendre ainsi sans besoin…

Antonio.

Boire sans soif et faire l’amour en tout temps, madame, il n’y a que ça qui nous distingue des autres bêtes.

Le Comte, vivement.

Réponds-moi donc, ou je vais te chasser.

Antonio.

Est-ce que je m’en irais ?

Le Comte.

Comment donc ?

Antonio, se touchant le front.

Si vous n’avez pas assez de ça pour garder un bon domestique, je ne suis pas assez bête, moi, pour renvoyer un si bon maître.

Le Comte le secoue avec colère.

On a, dis-tu, jeté un homme par cette fenêtre ?

Antonio.

Oui, mon Excellence ; tout à l’heure, en veste blanche, et qui s’est enfui, jarni, courant…

Le Comte, impatienté.

Après ?

Antonio.

J’ai bien voulu courir après ; mais je me suis donné contre la grille une si fière gourde à la