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ROMANCE


Air : Marlbroug s’en va-t-en guerre.


Premier couplet.

Mon coursier hors d’haleine,
(Que mon cœur, mon cœur a de peine !)
J’errais de plaine en plaine,
Au gré du destrier.

Deuxième couplet.

Au gré du destrier,
Sans varlet, n’écuyer ;
Là, près d’une fontaine,
(Que mon cœur, mon cœur a de peine !)
Songeant à ma marraine,
Sentais mes pleurs couler.

Troisième couplet.

Sentais mes pleurs couler,
Prêt à me désoler :
Je gravais sur un frêne
(Que mon cœur, mon cœur a de peine !
Sa lettre sans la mienne.
Le roi vint à passer.

Quatrième couplet.

Le roi vint à passer,
Ses barons, son clergier.
Beau page, dit la reine,
(Que mon cœur, mon cœur a de peine !)
Qui vous met à la gêne ?
Qui vous fait tant plorer ?

Cinquième couplet.

Qui vous fait tant plorer ?
Nous faut le déclarer. —
Madame et souveraine,
(Que mon cœur, mon cœur a de peine !)
J’avais une marraine,
Que toujours adorai.

Sixième couplet.

Que toujours adorai ;
Je sens que j’en mourrai. —
Beau page, dit la reine,
(Que mon cœur, mon cœur a de peine !)
N’est-il qu’une marraine ?
Je vous en servirai.

Septième couplet.

Je vous en servirai ;
Mon page vous ferai ;
Puis à ma jeune Hélène,
(Que mon cœur, mon cœur a de peine !)
Fille d’un capitaine,
Un jour vous marierai.

Huitième couplet.

Un jour vous marierai. —
Nenni, n’en faut parler !
Je veux, traînant ma chaîne,
(Que mon cœur, mon cœur a de peine !)
Mourir de cette peine,
Mais non m’en consoler.


La Comtesse.

Il y a de la naïveté… du sentiment même.

Suzanne va poser la guitare sur un fauteuil.

Oh ! pour du sentiment, c’est un jeune homme qui… Ah çà, monsieur l’officier, vous a-t-on dit que, pour égayer la soirée, nous voulons savoir d’avance si un de mes habits vous ira passablement ?

La Comtesse.

J’ai peur que non.

Suzanne se mesure avec lui.

Il est de ma grandeur. Ôtons d’abord le manteau.

(Elle le détache.)
La Comtesse.

Et si quelqu’un entrait ?

Suzanne.

Est-ce que nous faisons du mal donc ? Je vais fermer la porte. (elle court.) Mais c’est la coiffure que je veux voir.

La Comtesse.

Sur ma toilette, une baigneuse à moi.

(Suzanne entre dans le cabinet dont la porte est au bord du théâtre.)



Scène V

CHÉRUBIN ; LA COMTESSE, assise.
La Comtesse.

Jusqu’à l’instant du bal, le comte ignorera que vous soyez au château. Nous lui dirons après que le temps d’expédier votre brevet nous a fait naître l’idée…

Chérubin le lui montre.

Hélas ! madame, le voici ; Basile me l’a remis de sa part.

La Comtesse.

Déjà ? l’on a craint d’y perdre une minute. (Elle lit.) Ils se sont tant pressés, qu’ils ont oublié d’y mettre son cachet.

(Elle le lui rend.)



Scène VI

CHÉRUBIN, LA COMTESSE, SUZANNE.
Suzanne entre avec un grand bonnet.

Le cachet, à quoi ?

La Comtesse.

À son brevet.

Suzanne.

Déjà ?

La Comtesse.

C’est ce que je disais. Est-ce là ma baigneuse ?