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et ma main à celui qui pourra m’arracher de cette horrible prison, où ma personne et mon bien sont retenus contre toute justice.

(Rosine sort.)



Scène XIII

BARTHOLO, FIGARO, LE COMTE.
Bartholo.

La colère me suffoque.

Le Comte.

En effet, seigneur, il est difficile qu’une jeune femme…

Figaro.

Oui, une jeune femme, et un grand âge, voilà ce qui trouble la tête d’un vieillard.

Bartholo.

Comment ! lorsque je les prends sur le fait ! Maudit barbier ! il me prend des envies…

Figaro.

Je me retire, il est fou.

Le Comte.

Et moi aussi ; d’honneur, il est fou.

Figaro.

Il est fou, il est fou…

(Ils sortent.)



Scène XIV

BARTHOLO, seul, les poursuit.

Je suis fou ! Infâmes suborneurs ! émissaires du diable, dont vous faites ici l’office, et qui puisse vous emporter tous… Je suis fou !… Je les ai vus comme je vois ce pupitre… et me soutenir effrontément !… Ah ! il n’y a que Basile qui puisse m’expliquer ceci. Oui, envoyons-le chercher. Holà ! quelqu’un… Ah ! j’oublie que je n’ai personne… Un voisin, le premier venu, n’importe. Il y a de quoi perdre l’esprit ! il y a de quoi perdre l’esprit !


(Pendant l’entr’acte, le théâtre s’obscurcit : on entend un bruit d’orage exécuté par l’orchestre.)


ACTE QUATRIÈME


(Le théâtre est obscur.)

Scène I

BARTHOLO, don BASILE, une lanterne de papier à la main.
Bartholo.

Comment, Basile, vous ne le connaissez pas ? ce que vous dites est-il possible ?

Basile.

Vous m’interrogeriez cent fois que je vous ferais toujours la même réponse. S’il vous a remis la lettre de Rosine, c’est sans doute un des émissaires du comte. Mais, à la magnificence du présent qu’il m’a fait, il se pourrait que ce fût le comte lui-même.

Bartholo.

Quelle apparence ? Mais, à propos de ce présent, eh ! pourquoi l’avez-vous reçu ?

Basile.

Vous aviez l’air d’accord ; je n’y entendais rien ; et, dans les cas difficiles à juger, une bourse d’or me paraît toujours un argument sans réplique. Et puis, comme dit le proverbe, ce qui est bon à prendre…

Bartholo.

J’entends : est bon…

Basile.

À garder.

Bartholo, surpris.

Ah ! ah !

Basile.

Oui, j’ai arrangé comme cela plusieurs petits proverbes avec des variations. Mais, allons au fait : à quoi vous arrêtez-vous ?

Bartholo.

En ma place, Basile, ne feriez-vous pas les derniers efforts pour la posséder ?

Basile.

Ma foi non, docteur. En toute espèce de biens, posséder est peu de chose ; c’est jouir qui rend heureux : mon avis est qu’épouser une femme dont on n’est point aimé, c’est s’exposer…

Bartholo.

Vous craindriez les accidents ?

Basile.

Hé, hé, monsieur… on en voit beaucoup cette année. Je ne ferais point violence à son cœur.

Bartholo.

Votre valet, Basile. Il vaut mieux qu’elle pleure de m’avoir, que moi je meure de ne l’avoir pas.

Basile.

il y va de la vie ? Épousez, docteur, épousez.

Bartholo.

Ainsi ferai-je, et cette nuit même.

Basile.

Adieu donc. — Souvenez-vous, en parlant à la pupille, de les rendre tous plus noirs que l’enfer.

Bartholo.

Vous avez raison.

Basile.

La calomnie, docteur, la calomnie ! Il faut toujours en venir là.

Bartholo.

Voici la lettre de Rosine que cet Alonzo m’a remise, et il m’a montré, sans le vouloir, l’usage que j’en dois faire auprès d’elle.