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Figaro.

Et comment, diable ! je ne ferais pas mieux, moi qui m’en pique.

Le Comte.
Troisième couplet.

Tous les matins, ici, d’une voix tendre,
Je chanterai mon amour sans espoir ;
Je bornerai mes plaisirs à vous voir ;
Et puissiez-vous en trouver à m’entendre !

Figaro.

Oh ! ma foi, pour celui-ci !…

(Il s’approche et baise le bas de l’habit de son maître.)
Le Comte.

Figaro ?

Figaro.

Excellence !

Le Comte.

Crois-tu que l’on m’ait entendu ?

Rosine, en dedans, chante.
Air du Maître en droit.

Tout me dit que Lindor est charmant,
Que je dois l’aimer constamment…

(On entend une croisée qui se ferme avec bruit.)
Figaro.

Croyez-vous qu’on vous ait entendu cette fois ?

Le Comte.

Elle a fermé sa fenêtre ; quelqu’un apparemment est entré chez elle.

Figaro.

Ah ! la pauvre petite, comme elle tremble en chantant ! Elle est prise, monseigneur.

Le Comte.

Elle se sert du moyen qu’elle-même a indiqué. Tout me dit que Lindor est charmant. Que de grâces ! que d’esprit !

Figaro.

Que de ruse ! que d’amour !

Le Comte.

Crois-tu qu’elle se donne à moi, Figaro ?

Figaro.

Elle passera plutôt à travers cette jalousie que d’y manquer.

Le Comte.

C’en est fait, je suis à ma Rosine… pour la vie.

Figaro.

Vous oubliez, monseigneur, qu’elle ne vous entend plus.

Le Comte.

Monsieur Figaro, je n’ai qu’un mot à vous dire : elle sera ma femme ; et si vous servez bien mon projet en lui cachant mon nom… tu m’entends, tu me connais…

Figaro.

Je me rends. Allons, Figaro, vole à la fortune, mon fils !

Le Comte.

Retirons-nous, crainte de nous rendre suspects.

Figaro, vivement.

Moi, j’entre ici, où, par la force de mon art, je vais, d’un seul coup de baguette, endormir la vigilance, éveiller l’amour, égarer la jalousie, fourvoyer l’intrigue, et renverser tous les obstacles. Vous, monseigneur, chez moi, l’habit de soldat, le billet de logement, et de l’or dans vos poches.

Le Comte.

Pour qui de l’or ?

Figaro, vivement.

De l’or, mon Dieu, de l’or ! c’est le nerf de l’intrigue.

Le Comte.

Ne te fâche pas, Figaro, j’en prendrai beaucoup.

Figaro, s’en allant.

Je vous rejoins dans peu.

Le Comte.

Figaro ?

Figaro.

Qu’est-ce que c’est ?

Le Comte.

Et ta guitare ?

Figaro revient.

J’oublie ma guitare, moi ! je suis donc fou !

(Il s’en va.)
Le Comte.

Et ta demeure, étourdi ?

Figaro revient.

Ah ! réellement, je suis frappé ! — Ma boutique à quatre pas d’ici, peinte en bleu, vitrage en plomb, trois palettes en l’air, l’œil dans la main. Consilio manuque, Figaro.

(Il s’enfuit.)


ACTE DEUXIÈME


(Le théâtre représente l’appartement de Rosine. La croisée dans le fond du théâtre est fermée par une jalousie grillée.)

Scène I

ROSINE, seule, un bougeoir à la main. Elle prend du papier sur la table et se met à écrire.

Marceline est malade ; tous les gens sont occupés ; et personne ne me voit écrire. Je ne sais si ces murs ont des yeux et des oreilles, ou si mon argus a un génie malfaisant qui l’instruit à point nommé ; mais je ne puis dire un mot ni faire un pas, dont il ne devine sur-le-champ l’intention… Ah ! Lindor ! (Elle cachette la lettre.) Fermons toujours ma lettre, quoique j’ignore quand et comment je pourrai la lui faire tenir. Je l’ai vu à travers ma jalousie parler longtemps au barbier Figaro. C’est un bonhomme qui m’a montré quelquefois de la pitié : si je pouvais l’entretenir un moment !