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LES DEUX AMIS, ACTE III, SCÈNE I.


PAULINE, hésitant.

Ah ! Mélac, si ce qu’on dit est vrai… votre père…

MÉLAC FILS.

Mon père ?

PAULINE.

On soupçonne…

MÉLAC FILS.

Quoi ?

PAULINE.

Qu’il aurait détourné les fonds…

MÉLAC FILS.

L’argent de sa caisse ?

PAULINE.

Voilà ce qu’ils ont dit.

MÉLAC FILS.

Quelle horreur !

PAULINE.

Saint-Alban n’en a plus trouvé.

MÉLAC FILS.

C’est une imposture ; hier au soir j’y comptai cinq cent mille livres ; mais il vous aime, et, s’il cherche à nuire à mon père, croyez que c’est pour m’éloigner de vous.

PAULINE.

Puissiez-vous n’avoir pas d’autre malheur à redouter ! Non, mon cher Mélac, vous n’aurez jamais de rivaux dans le cœur de Pauline.

MÉLAC FILS.

Vous m’aimez !

PAULINE.

Que cet aveu soutienne votre courage ! nous en aurons besoin. Saint-Alban est jaloux. Le sort de votre père me fait trembler.

MÉLAC FILS.

Lui faites-vous, Pauline, l’injure de le croire coupable ?

PAULINE.

Ah ! ne voyez que mon effroi. Mais nous perdons un temps précieux. Courez à votre père, allez le consoler.

MÉLAC FILS.

Je vais l’enflammer de courroux contre un traître.

PAULINE.

S’il n’y avait que Saint-Alban qui l’accusât… mais mon oncle lui-même…

MÉLAC FILS.

Votre oncle !

PAULINE.

Il va revenir. Vous connaissez sa franchise, elle ne lui permet pas toujours de garder, avec les malheureux, les ménagements dont ils ont tant besoin…

MÉLAC FILS.

Vous me glacez le sang.

PAULINE.

Soyez présent aux explications ; que votre bon esprit en prévienne l’aigreur. Si votre père est embarrassé, mon oncle est le seul dont on puisse espérer un prompt secours…

MÉLAC FILS, troublé.

Quoi ! votre oncle est persuadé…

PAULINE.

Craignez surtout de vous oublier avec lui : songez que notre sort en dépend. (Avec une grande effusion.) Mon cher Mélac !… dans le péril qui nous menace, ah !… vous m’aurez assez méritée, si vous réussissez à m’obtenir.

MÉLAC FILS.

Ô mélange inouï !… Non ! je ne puis comprendre… N’importe, vous serez obéie. — Je me contiendrai. — Vous connaîtrez, Pauline, s’il est des ordres remplis comme ceux que l’amour exécute.

(Il lui baise la main, et ils sortent.


ACTE TROISIÈME



Scène I


MÉLAC père, MÉLAC fils.
MÉLAC PÈRE, avec chagrin.

Ne me suivez pas, mon fils.

MÉLAC FILS.

Eh ! le puis-je, mon père ?

MÉLAC PÈRE.

Je vous l’ordonne.

MÉLAC FILS.

Vous abandonner dans un moment si fâcheux !

MÉLAC PÈRE.

Votre douleur m’importune…, elle m’offense.

MÉLAC FILS.

Je connais trop mon père pour soupçonner rien qui lui soit injurieux. Mais si votre bonté me laissait percer un mystère…

MÉLAC PÈRE.

Mon fils !

MÉLAC FILS.

Refuserez-vous de m’indiquer les moyens de vous servir ? d’adoucir au moins vos peines ?

MÉLAC PÈRE.

Il est des devoirs dont ton âge et ta vivacité t’empêcheraient de sentir toute l’obligation.

MÉLAC FILS.

Vous m’avez appris à respecter tous ceux qui sont sacrés pour vous. Ayez confiance aux principes de votre fils : ce sont les vôtres.

MÉLAC PÈRE.

Mon ami, tu commences ta carrière quand je finis la mienne, et l’on voit différemment. L’intérêt du passé touche peu les jeunes gens, ils sacrifient beaucoup à l’espérance. Mais quand la vieillesse vient nous rider le visage et nous courber le