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LES DEUX AMIS
OU
LE NÉGOCIANT DE LYON
DRAME EN CINQ ACTES ET EN PROSE
REPRÉSENTÉ POUR LA PREMIÈRE FOIS SUR LE THÉÂTRE DE LA COMÉDIE-FRANÇAISE, À PARIS, LE 13 JANVIER 1770.


Qu’opposerez-vous aux faux jugements, à l’injure, aux clameurs ? — Rien.
Les deux Amis, acte IV, scène VII.



AVERTISSEMENT DE L’AUTEUR

Pour faciliter les positions théâtrales aux acteurs de province ou de société qui joueront ce drame, on a fait imprimer, au commencement de chaque scène, le nom des personnages, dans l’ordre où les comédiens français se sont placés, de la droite à la gauche, au regard des spectateurs. Le seul mouvement du milieu des scènes reste abandonné à l’intelligence des acteurs.

Cette attention de tout indiquer peut paraître minutieuse aux indifférents ; mais elle est agréable à ceux qui se destinent au théâtre, ou qui en font leur amusement, surtout s’ils savent avec quel soin les comédiens français les plus consommés dans leur art se consultent, et varient leurs positions théâtrales aux répétitions, jusqu’à ce qu’ils aient rencontré les plus favorables, qui sont alors consacrées, pour eux et leurs successeurs, dans le manuscrit déposé à leur bibliothèque.

C’est en faveur des mêmes personnes que l’on a partout indiqué la pantomime. Elles sauront gré à celui qui s’est donné quelques peines pour leur en épargner ; et si le drame, par cette façon de l’écrire, perd un peu de sa chaleur à la lecture, il y gagnera beaucoup de vérité à la représentation.


PERSONNAGES

AURELLY, riche négociant de Lyon : homme vif, honnête, franc et naïf.

MÉLAC père, receveur général des fermes à Lyon : philosophe sensible.

PAULINE, nièce d’Aurelly, élevée par Mélac père : jeune personne au-dessus de son âge.

MÉLAC fils, élevé avec Pauline : jeune homme bouillant et d’une sensibilité excessive.

SAINT-ALBAN, fermier général en tournée : homme du monde estimable.

DABINS, caissier d’Aurelly, protégé de Mélac père : homme de jugement, et fort attaché à son protecteur.

ANDRÉ, domestique de la maison : garçon très-simple.


La scène est à Lyon, dans le salon commun d’une maison occupée par Aurelly et Mélac.


ACTE PREMIER


Il est dix heures du matin. Le théâtre représente un salon ; à l’un des côtés est un clavecin ouvert, avec un pupitre chargé de musique. Pauline, en peignoir, est assise devant ; elle joue une pièce. Mélac, debout à côté d’elle, en habit du matin, ses cheveux relevés avec un peigne, un violon à la main, l’accompagne. La toile selève aux premières mesures de l’andante.

Scène I


PAULINE, MÉLAC fils.
PAULINE, après que la pièce est jouée.
PAULINE

Comment trouvez-vous cette sonate ?

MÉLAC FILS.

Votre brillante exécution la fait beaucoup valoir.

PAULINE.

C’est votre avis que je demande, et non des éloges.

MÉLAC FILS.

Je le dis aussi : elle me plairait moins sous les doigts d’un autre.

PAULINE se lève.

Fort bien ; mais je m’en vais, je n’ai point encore vu mon oncle.

MÉLAC FILS l’arrête.

Il est sorti ; il va…

PAULINE.

À la bourse, apparemment ?

MÉLAC FILS.

Je le crois. Le payement s’ouvre demain. Ce temps critique et dangereux pour les négociants de Lyon exige qu’ils se voient…