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LETTRES DE VOYAGE

tout en continuant leur balancement d’ours en cage, ils criaient : « Allah ! Allah ! Allah ! » avec une énergie si furibonde, un emportement de dévotion si féroce, d’une voix si sauvagement rauque, si caverneusement profonde, que l’on aurait plutôt dit des rugissements de lions affamés que des articulations de voix humaines. Je ne conçois pas comment leurs poitrines n’étaient pas brisées par ces grondements formidables à rendre jaloux les fauves habitants de l’Atlas.

« Le rhythme des tambours devenait de plus en plus impérieux ; les Aïssaoua s’agitaient avec une frénésie enragée ; le balancement de tête, qui n’avait été exécuté que par quelques-uns, était maintenant général ; seulement, les oscillations prenaient une telle violence, que l’occiput allait frapper les épaules, et que le front battait la poitrine en brèche. Cela bientôt ne suffit plus. Le balancement avait lieu de la ceinture en haut, et le corps décrivait un demi-cercle effrayant ; c’étaient des convulsions, de l’épilepsie, de la danse Saint-Guy, comme au moyen-âge.

« De temps en temps, quelque frère épuisé de fatigue roulait à terre, haletant, couvert de sueur et d’écume, presque sans connaissance ; mais poursuivi par le tonnerre implacable des tarboukas, il tressaillait, et se soulevait par secousses galvaniques comme une grenouille morte au choc de la pile de Volta. À cette vue, les spectres enthousiasmés secouaient leurs linceuls sur les bords des terrasses et faisaient grincer, avec un bruit plus sec et plus rauque, la crécelle de leur voix. On remettait le chaviré sur son séant, et il recommençait de plus belle.

« Un Aïssaoua, considérable dans la secte, et qu’on