Mais il mit longtemps à faire les dix pas qui le séparaient de la porte intérieure communiquant avec la décharge où travaillait Rousille. En fermant la porte, il regardait encore dans la salle, par la fente qui diminuait. Puis on l’entendit parler un peu avec sa sœur. Puis on ne l’entendit plus.
La grande nuit enveloppait la ferme. Et c’était la dernière où le toit de la Fromentière devait abriter Driot.
Une heure plus tard, les passants qui se seraient égarés dans les chemins, apercevant cette masse confuse de bâtiments et de feuillages, plus sombre que la brume et silencieuse comme elle, auraient pensé sûrement que tout dormait à la métairie. A l’exception du valet, ceux qui l’habitaient cependant, veillaient tous.
Mathurin, trop ému, n’avait cessé de s’agiter et de parler. La lumière éteinte, la conversation avait continué entre le père et le fils, dont les lits se faisaient suite le long du mur. Ne pouvant rien dire de cette fuite d’André, dont l’image s’imposait à lui sans relâche, avec la persistance et l’effroi d’un cauchemar, l’infirme se jetait d’un sujet à l’autre. Et le père n’arrivait pas à le calmer.
— Je vous assure que j’ai vu le Boquin. J’étais loin de lui, mais je le déteste trop pour me tromper sur son compte : il avait une manière de courir en se cachant comme un furet, il avait des hardes brunes, et sur son chapeau quelque chose de roux comme des feuilles de chêne.
— Dors, Mathurin, tu as mal vu.
— En effet, ça devait être des feuilles de chêne. Quand il était ici, il en mettait des fois à son chapeau, par gloriole, pour signifier que son pays était plus couvert que le nôtre et mieux pavoisé d’arbres. Ah ! le dannion ! Si j’avais pu courir !
— Tu n’aurais rien trouvé, mon pauvre gars. Il est dans le Bocage de chez lui. Que serait-il venu faire à la vente du marquis ?
— Voir ma sœur, donc ! Peut-être même il lui a parlé, mais je ne suis pas sûr, parce que la nuit tombait entre Rousille et moi.
Le père couché dans son grand lit à baldaquin, soupirait, et disait :