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sapins, et, de là, comme à l’affût, il écoutait, et il promenait sur la façade du château, sur les acheteurs et les passants, son regard bleu, où, par moments, la colère s’allumait.

À huit heures et demie, les enchères commencèrent.

André rentra le dernier, à près de huit heures. Le métayer avait voulu l’attendre pour souper. Il s’était assis, avec Mathurin, sous l’auvent de la cheminée, et, se chauffant, prenant et maniant la canne de Monsieur Henri chacun à son tour, ils parlaient de la triste journée qui s’achevait ; des hommes de Sallertaine qui avaient suivi les enchères ; des ouvriers qu’on avait entendus, à la dernière minute, reclouer les voliges sur les fenêtres basses, et des lumières qu’on avait vues errer derrière les vitres des étages, comme aux jours d’autrefois, quand la haute maison blanche était pleine d’invités.

— Nos maîtres ne reviendront plus, disait Toussaint Lumineau. Moi qui avais toujours cru en eux ! C’est fini !

— C’est fini ! répéta André, en montant dans l’ombre, les marchés du seuil. Je suis content de n’avoir pas vu ça.

Il avait l’air las et ému. Le tour de ses yeux était brillant, comme si le beau jeune Maraîchin allait pleurer. Toussaint Lumineau crut que la honte de cette vente publique, dont lui-même avait tant souffert, avait touché de la même manière le cœur de son enfant, et que c’était l’unique raison de la longue absence de Driot.

— Mets-toi à table, dit-il, tu dois avoir appétit. La soupe est prête.

— Non, je n’ai pas faim, dit André.

— Ni moi, dit le père.

Mathurin seul se traîna jusqu’au banc, et se servit une assiette de soupe, tandis que le père, demeurait assis devant le feu et que Driot, debout, l’épaule appuyée contre l’angle saillant du mur, sous l’auvent, considérait alternativement son père et son frère.

— Où donc as-tu été ? demanda le métayer.

André fit un geste en guirlande :

— De l’un chez l’autre : chez votre ami Guérineau, de la Pinçonnière ; chez le meunier de Moque-Souris ; aux Levrelles ; chez les Massonneau…