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même, vers sa nature authentique. La période des expériences et des fugues s’achève. Ce retour, de loin préparatoire à la magnifique floraison qui emplit la troisième période de son œuvre, La Faute de Mme Charvet le dénote. L’atmosphère purifiée, adoucie de ce drame intime à deux personnages fait présager le ton de la Légende de Vie. C’est là une œuvre presque religieuse, tellement grave en est le ton et sereine l’ambiance, en dépit du trouble et de la douleur. Lemonnier a voulu créer le roman type de l’adultère, et pour envisager la crise face à face dans sa nudité et sa sincérité, il a dépouillé le récit de tous les incidents coutumiers, n’envisageant que ses ravages dans les consciences des deux protagonistes du drame. Cette absence d’anecdotes et de comparses à l’entour de la tragédie rend saisissante cette analyse grave, austère, serrée, d’une délicatesse et d’une richesse de nuances véritablement inouïes, d’une douleur où il n’y a ni gesticulations ni sanglots, mais de l’angoisse, de la misère et de la tendresse souffrante. Cette mise à nu de la vie secrète de deux êtres entre lesquels un mensonge s’est insinué, est surtout évocatoire de ce sens d’humanité qu’exprime si merveilleusement l’art de Lemonnier et qui fait que nous nous sentons ici tellement loin de la traditionnelle psychologie de l’adultère, à la formule mille fois triturée…

Ainsi ce coloriste-né, ce peintre splendide des matérialités et des formes, se décèle un admirable scrutateur des consciences. Cet artiste à la glorieuse animalité peut également se vouloir le plus subtil des analystes de la vie intérieure, le plus délicat des intimistes sentimentaux. L’Arche et La Faute de Mme Charvet le prouvent surabondamment. Vertus admirablement complémentaires et qui ne se rencontrent, à un pareil degré, que chez peu de maîtres…