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d’une œuvre d’art, on pourrait affirmer que jamais livre plus vengeur ne fut écrit, plus apte à violemment dégager l’horreur démoniaque des mauvaises luxures.

Et c’est ainsi qu’au bord des abîmes côtoyés ou pressentis, son sûr instinct le ramène toujours dans les chemins de la vie, alors qu’on pense qu’il va s’égarer au delà.

Il semble qu’à cette époque Lemonnier ait eu véritablement le désir d’éprouver dans toutes les directions l’efficacité de son art. On serait presque tenté de considérer comme l’effet d’une gageure l’absolue divergence des trois romans qui suivirent. Je crois bien que La Fin des Bourgeois, dans l’œuvre multiple de Camille Lemonnier, est un des livres appelés à disparaître. C’est le seul de ses romans où il ait subi l’emprise d’une formule. La longue introduction de chacun des personnages, le rappel constant d’une thèse condensée en des leitmotivs, le souci dominant des hérédités et des ascendances, l’étude parallèle de tout un rameau familial, la lourdeur pénible du récit évoquent Zola irrésistiblement. Le vrai Lemonnier disparaît presque totalement en la prison de cet édifice savant et pesant. C’est l’histoire-épopée de la banqueroute de la bourgeoisie libérale doctrinaire, héritière pléthorique et déjà décadente, des plèbes naguère victorieuses de la noblesse. Les rares moments ou reparaît l’écrivain que nous connaissons, c’est, par exemple, lorsqu’est opposée l’énergie des ancêtres terriens aux durs travaux à la petitesse de leurs descendants, en lesquels s’éteint la force de la race par la corruption de l’argent et de la victoire sociale, ou bien en de courts épisodes tels que la rencontre du Pauvre. Mais les quelques très belles pages du roman ne suffiront pas à le sauver. J’y reconnais l’image d’un géant empêtré aux mailles d’un filet.

Il semble bien d’ailleurs que Lemonnier ait eu comme la sensation d’un étouffement au sortir de cette œuvre à la