Page:Bazalgette - Camille Lemonnier, 1904.djvu/30

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il contient des scènes superbes, et parce qu’il prouve, mieux que partout ailleurs, le ressort de son magnifique tempérament, qui toujours éclate et ruisselle du sein de la « littérature ». Le roman débute par de l’artificiel, — une sorte de psychologie ésotérique, — par des pages où le vrai Lemonnier se dérobe à nous, hors de lui-même et de sa nature essentielle. Puis peu à peu la vie se répand, le livre s’échauffe et palpite. Voici l’artiste qui, tout à coup, ressuscité à la chaleur de son sujet, se redresse en pleine humanité, fait intervenir la vie avec toutes ses puissances et finit par une des plus fortes sensations d’humanité vivante que l’art puisse communiquer. C’est ainsi que chez lui l’instinct initial, l’impulsion venue des tréfonds sortent finalement victorieux, et que d’une œuvre, qui semble à prime abord de second plan, se lèvent tout à coup des pages rayonnantes de beauté, La tragique et douloureuse histoire du président Lépervié, vieux magistrat qui s’effondre, chair et raison, au fin fond du sadisme d’un « mauvais amour », c’est en relief surintense l’analyse de l’épuisement génésique. Si le qualificatif prostitué de shakespearien était encore valable, il faudrait y avoir recours pour caractériser les scènes dernières de ce récit. Les épisodes du magistrat franchissant les dernières étapes du gâtisme, son éréthisme s’accompagnant d’ivrognerie, ont une intensité dans le tragique presque effroyable. Jamais, en un tel relief hallucinant, ne fut dépeint le processus du coma chez un vieillard qu’ont peu à peu anéanti les luxures maniées par une véritable stryge. Il y a là des scènes où passe le frisson des grands tragiques, une horreur et une fièvre savamment graduées, qui vous donnent à vous-même, au sortir du livre, le sentiment d’une véritable possession. Vous êtes possédé par le livre, tellement violente et ensorcelante est l’impression qui en émane. C’est positivement une œuvre effrayante ; et s’il n’était pas ridicule de faire intervenir la morale au sujet