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ABÉLARD.

posent qu’il se défendit courageusement, et qu’il eut d’abord tout l’avantage : il jeta Caïn par terre, et lui fit un bon quartier, mais Caïn se releva, et le tua. Le père Mersenne rapporte cette vision dans la page 1431 de son commentaire sur la Genèse.

(H) Qu’il tomba un feu céleste. ] Saint Jérôme a rapporté cette tradition [1], et l’a confirmée par Théodotion, qui l’avait suivie dans sa version de l’Écriture. Nisi illa interpretatio vera esset, quam Theodotion posuit : Et inflammavit Dominus super Abel et super sacrificium ejus ; supra Caïn verò et sacrificium ejus non inflammavit [2]. Elle est communément approuvée par les pères de l’église. Ce qui la rend vraisemblable, est qu’en plusieurs occasions un feu descendu du ciel a fait connaître que Dieu agréait le sacrifice. À la consécration d’Aaron on eut le signe de l’approbation de Dieu [3]. Gédéon, David, Salomon (quelques-uns y ajoutent Néhémie), ont été aussi honorés de cette faveur spéciale dans quelques-uns de leurs sacrifices [4]. Cornélius à Lapide dit que Calvin et Luther se sont moqués, comme d’une fable judaïque, de cette descente du feu céleste sur la victime d’Abel [5] ; mais M. Heidegger lui cite un passage de Luther qui témoigne visiblement le contraire. Etsi Moses illud signum, quo Deus ostendit sibi Abel munera grata esse, non ostendit, tamen verisimile est fuisse ignem cælo demissum, quo oblatio hausta et consumpta in oculis omnium[6]. Les théologiens protestans ont donné en foule dans cette hypothèse[7], et quelques-uns d’eux l’ont confirmée par les paroles d’un psaume[8] que Clément Marot a traduites de cette façon :

De tes offertes et services
Se veuille souvenir,
Et faire tous tes sacrifices
En cendre devenir.

Les païens se sont vantés de cette sorte de marques extraordinaires de l’approbation du ciel en quelques lieux, comme nous le montrerons dans l’article Egnatia. On sait assez que le diable est le singe du vrai Dieu.

  1. Hieron. Tradition. hebraïc.
  2. Hieron. Quæst. hebraïc.
  3. Levit., cap. IX.
  4. Consultez le livre des Juges, chap. VI ; le 1er. livre des Rois, chap. XVIII : le 1er. des Chroniq., chap. VII, le IIe. des Chroniq. chap. VII ; le IIe. des Machabées, chap. I.
  5. Cornel. à Lapide, in Genes., cap. V, vs. 4, pag. 97.
  6. Lutherus, ad Genes., cap. IV, vs. 3. apud Heidegger, Hist. Patriarch., tom. I, pag. 184.
  7. Voyez Saldeni Otia Theol., pag. 337.
  8. C’est le XX.

ABÉLARD (Pierre), en latin Abælardus a été un des plus fameux docteurs du douzième siècle. Il naquit au village de Palais (A), à quatre lieues de Nantes en Bretagne et comme il avait l’esprit fort subtil, il n’y eut rien dans ses études à quoi il s’appliquât avec autant de succès qu’à la logique. Il voyagea en divers lieux par la seule envie de s’aguerrir dans cette science, disputant partout, lançant de toutes parts ses syllogismes, et cherchant avec ardeur les occasions de se signaler contre une thèse. Jamais chevalier errant ne chercha avec plus d’avidité les occasions de rompre une lance en l’honneur des dames. Abélard termina ses courses à Paris, où il trouva un célèbre professeur en philosophie, nommé Guillaume des Champeaux[a]. Il fut d’abord son disciple bien-aimé ; mais cela ne dura pas long-temps, le professeur avait trop de peine à répondre aux subtiles objections de ce disciple pour ne concevoir pas du chagrin et de la haine contre lui. Les factions naquirent bientôt ; les écoliers avancés en âge, transportés d’envie contre Abélard, secondèrent la passion du maître. Cela ne fit qu’augmenter la présomption de ce jeune homme ; il se crut désormais trop habile pour ne s’ériger pas en docteur. Il choisit pour cela un grand théâtre ; car il s’en alla

  1. Guillelmus Campellensis. Il était archidiacre de Paris.