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AMPHITRYON.

(E) Alcmène exigeait cette condition de celui qui voudrait être son mari. ] Nous verrons dans l’article auquel la remarque précédente a renvoyé le lecteur, qu’Alcmène demandait principalement qu’on vengeât la mort de son père.

(F) Sa femme portait sur sa tête un ornement qui témoignait que Jupiter avait triplé la nuit, pour la caresser plus long-temps.[1] ] Voilà qui est singulier. Il lui devait suffire que la tête de son mari fût chargée du panache, et fortifiée d’ouvrages à cornes et à demi-lunes capables de l’emporter sur les tours de la déesse Cybèle :

........Qualis Berecinthia mater
Invehitur curru Phrygias turrita per urbes[2].


Qu’était-il besoin qu’elle portât trois lunes entières sur son front ?

........Parvoque Alcmena superbit
Hercule, tergeminâ crinem circumdata Lunâ[3].


Plusieurs interprètes veulent que ces trois lunes aient été le monument des trois nuits que Jupiter passa avec elle. Beau trophée portatif pour le pauvre Amphitryon ! Quel monument de son honneur sain et sauf ! Voulait-elle que tous ceux qui jetteraient l’œil sur sa coiffure se souvinssent de la triple nuit que ses charmes avaient fait produire ? Encore un coup, son mari ne devait pas trop s’accommoder de cet ornement. Je m’en rapporte à Molière, qui le fait acquiescer à la réflexion de son valet. Les amis d’Amphitryon ayant su que Jupiter promettait monts et merveilles pour la réparation de l’injure, commençaient à lui en témoigner leur joie ; mais Sosie les interrompit :

Messieurs, voulez-vous bien suivre mon sentiment ?
Ne vous embarquez nullement
Dans ces douceurs congratulantes :
C’est un mauvais embarquement,
Et d’une et d’autre part pour un tel compliment.
Les phrases sont embarrassantes.
Le grand dieu Jupiter nous fait beaucoup d’honneur,
Et sa bonté sans doute est pour nous sans seconde.
Il nous promet l’infaillible bonheur
D’une fortune en mille biens féconde,
Et chez nous il doit naître un fils d’un très-grand cœur ;
Tout cela va le mieux du monde :
Mais enfin coupons aux discours,
Et que chacun chez soi doucement se retire ;
Sur telles affaires toujours
Le meilleur est de ne rien dire[* 1].


Amphitryon trouve cela si judicieux, qu’il y donne par son silence un entier consentement.

(G) Il n’est pas vrai qu’il ait appris aux hommes à mettre de l’eau dans le vin. ] Cette invention est d’un autre, si l’on en croit Athénée[4] ; mais comme cet autre se nommait Amphictyon, il est arrivé à un très-docte critique de le confondre avec le mari d’Alcmène. Je ne doute point que de semblables méprises ne soient souvent cause de la diversité d’opinions que l’on trouve dans les auteurs. Lisez Athénée, vous direz qu’Amphictyon, roi d’Athènes, a inventé le mélange de l’eau et du vin. Lisez Casaubon, vous attribuerez ce secret à Amphitryon, roi de Thèbes ; d’où il arrivera que d’assez bons compilateurs formeront deux sentimens : Quelques-uns, diront-ils, attribuent cette invention a Amphictyon ; d’autres l’attribuent à Amphitryon. Voici les paroles de Casaubon : Quod mox de Amphytrionis (je rapporte l’orthographe comme je la trouve ) invento temperandi vinum sequitur quo pertineat subobscurum est. Spectat autem eo ne quis miretur quod posteà dicit, Homerum varia temperamenta vini habuisse nota. Cur enim hoc miremur, cùm τῆς τοῦ οἴνου κράσεως inventor sit Amphitryo, quem ante Iliaca tempora Thebis regnâsse nemo dubitat[5].

  1. * Molière, Amphitryon, acte III, scène XI.
  1. Apollodorus, lib. II, pag. 97, etc.
  2. Virgil. Æneid., lib. VI, vs. 785.
  3. Stat. Thebaïdos lib. VI, vs. 288.
  4. Athen., lib. IV, cap. XXVII, p. 179.
  5. Casaub. in Athen., pag. 323, 324.
FIN DU PREMIER VOLUME.