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AMPHIARAÜS.

par quel songe Amphiaraüs fit connaître à ce général du roi des Perses la mauvaise destinée qui l’attendait. Plutarque était mieux instruit là-dessus ; car il rapporte ce songe[1]. Il y a des auteurs qui disent qu’Amphiaraüs s’apparaissait aux consultans : Ἀμϕιάραος μὲν γὰρ καὶ Τροϕώνιος ἐν Βοιωτίᾳ καὶ Ἀμϕίλοχος ἐν Ἀιτωλίᾳ χρησμωδοῦσί τε ταὶ ϕαίνονται· οὗτοι δὲ πανταχοῦ τῆς γῆς διατάττουσιν ὥσπερ ἀςέρες περίπολοι.[2]. Je crois qu’ils veulent dire qu’il se faisait voir en songe. Quoi qu’il en soit, son oracle n’était pas moins révéré que celui de Delphes, ou que celui de Dodone, ou que celui de Jupiter Hammon ; c’est Valère Maxime qui le dit : Eadem gens summo consensu ad Amphiaraüm decorandum incubuit, locum in quo humatus est, in formam conditionemque templi redigendo, atque indè oracula capi instituendo. Cujus cineres idem honoris possident, quod Pythicæ Cortinæ, quod aheno Dodonæ, quod Hammonis fonti datur[3]. Cicéron n’en a pas dit tout-à-fait autant ; mais néanmoins il en a parlé avec éloge : Amphiaraüm sic honoravi fama Græciæ, deus ut haberetur, atque ut ab ejus solo, in quo est humatus, oracula peterentur[4].

Notez qu’il y avait à Corinthe un temple d’Amphiaraüs[5] ; mais n’ajoutez point de foi, ni à Pomponius Méla[6], ni à Solin[7], qui disent qu’il y en avait un à Rhamnus. Ils se trompent. Il n’était point là ; mais proche d’Orope, comme je l’ai déjà dit, et comme on le peut prouver par Dicéarque, par Strabon, par Pausanias, etc. Voyez Isaac Vossius, à la page 151 de son Commentaire sur Pomponius Méla.

(F) Il excella principalement à deviner par les songes ; mais…. il fut l’inventeur des divinations qu’on fait par le feu. ] À l’égard de cette invention, je ne puis citer que ces paroles de Pline : Aruspicium Delphus (invenit), ignispicia Amphiaraüs, auspicia avium Tiresias Thebanus, interpretationem ostentorum et somniorum Amphictyon [8]. Stace ne parle point de cela, quoiqu’il se plaise à parler souvent de l’habileté d’Amphiaraüs à deviner par plusieurs moyens :

Quis mihi sidereos lapsus, mentemque sinistri
Fulguris, aut cæsis saliat quod numen in extis,
Quandò iter, undè moræ, que sævis utilis armis,
Quæ pacem magis hora velit, quis jam omne futurum
Proferet, aut cum quo volucres mea fata loquentur[9] ?


C’est ainsi qu’il exprime les regrets de toute l’armée sur la mort de ce devin. Il dit dans un autre lieu :

.... Quantùm subit diversus ab illo
Qui tripodas laurusque sequi, qui doctus in omni
Nube salutato volucrem cognoscere Phæbo[10].


Je laisse plusieurs autres passages de la même force, et j’aime mieux observer que ce poëte n’insiste pas sur la principale propriété de ce devin : c’était de prédire par les songes, comme je l’ai déjà dit[11]. Il fut le premier qui s’abstint des fèves comme d’une chose qui nuisait à cette science[12]. Πρῶτος δὲ ἀπέσχετο κυάμων Ἀμϕιάραος, διὰ τῆν δἰ ὀνείρων μαντείαν[13]. Il ne sera pas inutile d’indiquer ici de quelle manière il devint prophète. Il entra dans une maison aussi ignorant qu’un autre des choses futures ; mais le lendemain il en sortit bien capable de les prédire. Cette maison demeura fermée depuis ce temps-là, et fut appelée fatidique. Elle avait, à l’égard des divinations, la même vertu que les poëtes attribuaient au Parnasse à l’égard des vers :

Nec in bicipiti somniâsse Parnasso
Memini, ut repentè sic poeta prodirem[14].


On y devenait prophète dans une nuit ; et c’était alors que l’on pouvait dire que le bien venait en dormant. Vous verrez dans le passage que je vais citer que ce changement d’Amphia-

  1. Plutarch. de Oraculorum defectu, pag. 412.
  2. Aristides, Orat. in Asclepiadas, apud Barthium in Statium, tom. II, pag. 138.
  3. Valer. Maximus, lib. VIII, sub fin.
  4. Cicero, de Divinat., lib. I, cap. XL.
  5. Pausan., lib. II, pag. 65.
  6. Pomponius Mela, lib. II cap. III.
  7. Solinus, cap. VII.
  8. Plin., lib. VII, cap. LVI.
  9. Statius, Theb., lib. VI, vs. 177.
  10. Id., ibid., lib. VII, vs. 706.
  11. Dans la remarque (F).
  12. Voyez la remarque (I) de l’article Pythagoras.
  13. Geoponicor. lib. II, apud Barthium in Statium, tom. II, pag. 137.
  14. Persius, in Prologo, vs. 8.