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AMPHIARAÜS.

va nous apprendre quelques autres cérémonies que l’on observait en ce lieu-là. Les dieux, dit-il[1], sont coustumiers d’octroyer les oracles à ceux qui sont sobres. Car il se trouva une fois en Grèce un prophète appellé Amphiaraüs. J’estime (interrompt le roy) que vous voulez dire celuy qui fut fils d’Ioclée, et en s’en retournant de Thèbes fut englouty dedans la terre. Celui-là sans autre, respondit Apollonius, lequel jusqu’aujourd’huy rend des oracles au territoire athénien, et envoye à ceux qui l’en requièrent, des songes sur ce qu’ils luy demandent. Mais les prestres du lieu enjoignent à ceux qui viennent là se conseiller, de s’abstenir un jour entier de toute viande, et trois jours de vin ; à celle fin qu’ils puissent mieux en leur pensées pures et nettoyées concevoir et r’accueillir les raisons des choses qui leur seront manifestées en songe. Là où si le vin estoit un médicament propre à dormir, ce sage Amphiaraüs sans doubte l’auroit ordonné aux songeurs, et que, remplis jusqu’au regorger de mangeaille, et de ce breuvage comme une bouteille, ils descendissent en la plus secrette partie du temple où se rendoient de tels oracles. Prenez garde que Philostrate assure qu’au temps d’Apollonius l’oracle d’Amphiaraüs conservait encore sa réputation : cependant Plutarque confesse que tous les oracles de la Béotie [2], entre lesquels il met celui-là, avaient cessé[3]. Ne faisons point d’incident sur ce qu’Apollonius met cet oracle dans l’Attique, et non pas dans la Béotie, comme Plutarque. Ils parlent du même lieu ; mais comme le territoire d’Orope fut un sujet de contestation entre les Athéniens et les Thébains, ceux-là prétendant qu’il appartenait à la Béotie, et ceux-ci qu’il appartenait à l’Attique[4] : de la est venu que certains auteurs ont pu dire que de temple d’Amphiaraüs était dans la Béotie, et les autres qu’il était dans l’Attique. Clément d’Alexandrie, reprochant aux païens la cessation de leurs oracles, parle nommément de celui d’Amphiaraüs[5] : voilà donc un second témoin contre le héros de Philostrate. Disons en passant qu’il en fait mention dans un autre lieu, que son traducteur a perverti. Le voici : Ἢ τὸν Ἀμϕιάρεον τὸν σὺν τοῖς ἕπτα τοῖς ἐπι Θήϐας ςρατεύσασι μιᾷ γενεᾷ τῆς Ἰλίου ἁλώσεως πρεσϐύτερον ϕερόμενον. Aut Amphiaraüm, qui cum septem qui adversùs Thebas bellum gesserunt, fertur Trojâ captâ unâ generatione fuisse posterior : il fallait dire prior, [6].

Hérodote nous peut apprendre combien cet oracle était estimé ; car il dit que de tous ceux que Crœsus, roi de Lydie, fit consulter, il n’y eut que celui-là et celui de Delphes qui firent de bonnes réponses, et qui reçurent des dons magnifiques de la part de ce monarque[7]. Je m’étonne de ce qu’il observe que les dons envoyés par Crœsus à l’oracle d’Amphiaraüs furent mis au temple d’Apollon Isménien, dans la ville de Thèbes[8]. Pourquoi ne furent-ils pas consacrés dans le temple même d’Amphiaraüs ? Pourquoi, au défaut de cela, ne furent-ils pas portés dans toute autre ville, plutôt qu’à Thèbes, dont les habitans avaient encouru une note désavantageuse par rapport à cet oracle ? Car il leur était défendu de s’endormir dans le temple d’Amphiaraüs ; et c’était le seul moyen de consulter l’avenir en ce lieu-là. La raison pourquoi cette défense leur fut faite était qu’Amphiaraüs ayant offert aux Thébains, ou de leur servir de devin, ou d’être leur compagnon d’armes, ils choisirent le dernier parti. Vous trouvez toutes ces choses dans Hérodote [9], et avec une distinction si claire entre le temple d’Apollon Isménien, et celui d’Amphiaraüs, qu’il est fort étrange que Barthius ait pu dire qu’ils n’étaient pas différens[10]. Au reste, Hérodote raconte cela en parlant d’un Européen qui fut employé par Mardonius pour consulter les oracles de la Grèce. Il n’a point su

  1. Philostrate, Vie d’Apollonius, liv. II, chap. XI, pag. 456. Je me sers de la traduction de Vigénère.
  2. Plutarch. de Oraculor. defectu, p. 411.
  3. Il excepte celui de Lebadie.
  4. Voyez Pausanias, lib. I, pag. 33 ; et Strabon, lib. IX, pag. 375.
  5. Clemens Alexandrin. in Protreptico, p. 9.
  6. Idem, Stomat., lib. I, pag. 334, C. Barthius sur Stace, tom. II, pag. 138, adopte la faute du traducteur, et l’impute à Clément d’Alexandrie.
  7. Herodot., lib. I, cap. XLVI et seqq.
  8. Id. ibid., cap. LII.
  9. Idem, lib. VIII, cap. CXXXIV.
  10. Barthius in Statium, tom. II, pag. 137.