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AMPHIARAÜS.

οὐδε ἓν. Præclarè igitur Epicharmus, concretum, inquit, fuit et discretum est, reditque undè venerat, terra deorsùm, spiritus sursùm. Quid ex his omnibus iniquum est ? Nihil[1]. On trouve cette pensée dans les écrits de plusieurs païens[2], et même dans les poésies de Lucrèce, comme je l’ai dit ailleurs[3]. C’était pour le moins connaître en gros la vérité : mais ceux qui s’imaginaient que l’âme d’Amphiaraüs n’avait pas joui de la liberté de se réunir à son principe, se trompaient grossièrement. Quand même elle n’aurait pas été immatérielle, mais de la nature des astres, elle aurait trouvé aisément une bonne issue pour remonter. Les poëtes qui dirent qu’il vivait encore quand il arriva dans les enfers, mettaient plus d’obstacles au retour de son esprit vers les régions célestes ; car il semble qu’il soit plus facile de gagner le haut, si l’on commence à y tendre un peu au dessous de la surface de la terre, que si l’on s’enfonce jusqu’au centre, avant que de commencer son vol vers le ciel : mais ces fantaisies poétiques sont trop éloignées du sérieux, pour mériter que l’on s’y arrête, et je crains que mes lecteurs ne trouvent mauvais que je copie ceci :

... Ecce altè præceps humus, ore profundo
Dissilit, inque vicem timuerunt sidera, et umbræ.
Illum ingens haurit specus, et transire parantes
Mergit equos, non arma manu, non frena remisit :
Sicut erat, rectos defert in Tartara currus[4].


À la vue des Parques, il vivait encore : elles ne rompirent le fil de sa vie qu’après avoir eu bien peur de voir ce prophète en chariot dans les pays infernaux :

......... Quin cominùs ipsa
Fatorum deprensa colus : visoque paventes
Augure, tunc demùm rumpebant slamina Parcæ[5].


On trouvera moins étrange que j’observe la contradiction où ce poëte s’est jeté. Il suppose qu’Amphiaraüs, un peu avant que d’être englouti, rendit à Phœbus les enseignes prophétiques, comme une chose qui ne pouvait pas être portée au royaume de Pluton :

Accipe commissum capiti decus, accipe laurus
Quas Erebo deferre nefas[6].


Ailleurs, il suppose que Phœbus avoue que son prophète descendit dans les enfers avec toutes les enseignes de sa charge :

...... Utinam indulgere precanti
Fata darent ! en ipse mei (pudet) irritus arma
Cultoris, frondesque sacras, ad inania vidi
Tartara, et in memet versos descendere vultus[7].


Barthius, qui a relevé cette faute, observe qu’il y en a plusieurs de même nature dans la Thébaïde de ce poëte : Hoc genus plurima connivet magnanimus hic vates, et duodecim tamen annorum limam referre vult suam Thebaïdem[8].

(D) On a cru qu’Amphiaraüs sortit des enfers. ] Quelques auteurs affectent de dire qu’il disparut : Ἀμϕιάραος δὲ χανούσης τῆς γῆς ἐμπεσὼν εἰς τὸ χάσμα μετὰ τοῦ ἅρματος ἀϕανὴς ἐγένετο[9]. Amphiaraüs verò dehiscente terrâ cadens in hiatum cum curru inconspicuus evasit. Apollodore ajoute cette raison : c’est que Jupiter lui donna l’immortalité : Ὁ δὲ σὺν τῷ ἅρματι…. ἐκρύϕθη καὶ Ζεὺς ἀθάνατον αὐτὸν ἐποίησεν.[10]. Is verò absorptus est et posteà nunquàm visus : illum enim Jupiter immortalitate donavit. Voilà qui peut obliger les hébraïsans à dire, que les païens ont fait allusion à l’histoire d’Énoch. Il y a d’autres auteurs qui ne biaisent point : ils supposent qu’Amphiaraüs mourut, et qu’il descendit actuellement au royaume de Pluton ; mais qu’ensuite il remonta aux régions supérieures. Ils indiquaient même le lieu par où fut faite son ascension. C’était une fontaine, proche du temple que ceux d’Orope[11] lui bâtirent. Le culte de cette fontaine était singulier : on n’y faisait point de sacrifices ; l’eau n’en était employée,

  1. Plutarch. de Consolat., pag. 110.
  2. Voyez Barthius, qui en cite plusieurs dans son Commentaire sur Stace, tom. II, p. 284
  3. Dans la remarque (E) de l’article Prudence.
  4. Statius, Thebaïd., lib. VII, vs. 816.
  5. Id. ibid., lib. VIII, vs. 11.
  6. Id. ibid., lib. VII, vs. 784.
  7. Id. ibid., lib. IX, vs. 652.
  8. Barth. in Statium, tom. III, pag. 773.
  9. Diod. Siculus, lib. IV.
  10. Apollodorus, lib. III, pag. 193.
  11. Ville située entre l’Attique et la Béotie.