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AMPHIARAÜS.

une faute de géographie, mais beaucoup moins ridicule que ce que conte le même auteur, que le jour qui précéda le combat, un aigle enleva la lance d’Amphiaraüs pendant que les généraux dînaient ensemble : l’ayant portée bien haut, il la laissa retomber : elle se ficha dans la terre, et devint un arbre. Τὸ δὲ παγὲν ἐν γῇ δάϕνη ἐγένετο. Ea terrâ infixa in laurum est mutata[1]. Voici des paroles du scoliaste de Stace, qui ont été critiquées : Civitas in illo loco post est condita, in quo hiatus terræ Amphiaraum recepit, quæ Amphiarma vocatur, ut Homerus ait, quòd illic currus quem Græci ἅρμα vocant deciderit, in quo etiam oraculum est quod græcè Amphiaraon vocatur. Barthius[2] prétend que ce scoliaste allègue mal à propos le témoignage d’Homère, puisqu’on ne trouve rien de semblable dans le livre de l’Odyssée où il est parlé d’Amphiaraüs [3]. Il ajoute, que peut-être le nom d’Homère est entré là par la faute des copistes, et que si l’on ne suppose point cela, il faut dire que le scoliaste a fait un péché de mémoire qui lui est assez familier, et à beaucoup d’autres : Vel alium ergò auctorem nominavit intruso nunc Homeri titulo Lutatius, vel errorem erravit nec ipsi insolitum, nec aliis paris momenti auctoribus infrequentem [4]. Cette critique n’est pas juste : il la fallait diriger ailleurs. Il fallait dire premièrement, que la ville qui fut bâtie où Amphiaraüs périt, s’appelait Harma, et non Amphiarma. Secondement, qu’Homère s’est contenté de la nommer, sans faire aucune remarque étymologique Ὀιτ᾽ ἀμϕ᾽ ἄρμα ἐνέμοντο, quique circum Harma habitabant[5]. En troisième lieu, que l’oracle de ce prophète n’était point à Harma.

Finissons cette remarque par un passage de Barthius, qui nous apprendra qu’on prétend que les païens ont fait allusion à l’aventure de Coré et d’Abiram : Placet non planè absurdam conjecturam veteris adnotatoris proponere, per hunc casum alludi à paganis scriptoribus ad vindictam divinam in sacerdotes hebræi populi, Datamum nimirùm et Abiramum, quos non ritè rebus sacris ministrantes Deus omnipotens coram omni illâ gente vivos ad inferos per hiatum terræ subitum dejecerit. Ei rei respondere nonnihil etiam posteriùs dicti vocabulum ; facilè enim ex Abiramo gentilium deliria Amphiaraum fecisse, quem, Israëlitâ gente jam eo loco remotâ, quo loco ista absorptio acciderit, consecrâsse postmodum, Satana instituente oraculum. Et indè cultum impii hominis aliorsùm longè latèque propagatum[6].

(C) Il y a eu des reflexions assez mauvaises sur cette espèce de mort. ] On a cru que l’ordre de la nature y avait été renversé : cet ordre, dis je, selon lequel les parties d’un composé qui se dissipe doivent retourner chacune en son lieu : par exemple, quand l’homme meurt, son âme doit s’envoler vers le ciel, d’où elle a été tirée, et son corps, pris de la terre, y doit retourner. Amphiaraüs n’avait point joui de ce bénéfice ; la terre l’avait englouti en corps et en âme : elle ne s’était pas contentée de reprendre ce qui lui appartenait, elle avait aussi retenu ce qui ne lui appartenait pas. Le devin Thiodamas lui en fait une espèce de reproche :

...... Liceat, precor, ordine belli
Pugnaces efflare animas, et reddere cælo.
Ne rape tam subitis spirantia corpora bustis.
Ne propera : veniemus enim quo limite cuncti
Quâ licet ire viâ[7].


Un commentateur dit là-dessus : Iniquitas manifesta Telluri hìc exprobratur, quâ animam Amphiaraï cum corpore egerit deorsùm[8]. Il venait de rapporter une doctrine d’Épicharme, qui est très-belle : L’homme avait été fait par l’assemblage de deux parties : elles se séparent, et chacune retourne d’où elle était venue, la terre à la terre, et l’esprit en haut : il n’y a rien là de mauvais. Καλῶς οὖν ὁ Ἐπίχαρμος συνεκρίθη, ϕησὶ, καὶ διεκρίθη, καὶ ἀπῆλθεν ὁθεν ἦλθε πάλιν, γᾶ μὲν εἰς γἄν, πνεῦμα δὲ ἀνώτι᾽ τῶν δὲ χαλεπὸν ;

  1. Id. ibid.
  2. Barthius in Stat. Theb., lib. VIII, vs. 297, tom. II, pag. 831.
  3. Odyss. XV, vs. 245.
  4. Barthius in Statii Theb., lib. VIII, tom. II, pag. 831.
  5. Homer. Iliad., lib. II, vs. 499.
  6. Barth. in VII lib. Thebad. Statii, vs. 784, pag. 773, tom. III.
  7. Statius, Theb., lib. VIII, vs. 323.
  8. Barthius in Statium, tom. III, p. 862.