Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique (1820) - Tome 1.djvu/54

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
8
ABARIS.

grands éloges que ce sophiste donne à quelqu’un s’adressent à Abaris. Du moins est-il indubitable qu’il le loue d’avoir parlé bon grec [a]. D’autres assurent que ses manières aisées et simples, et sa probité, le rendirent recommandable à toute la Grèce[b]. Je n’ai point trouvé que Callimaque et Lucien parlent de lui, quoiqu’un grand critique l’assure[c]. Si sa flèche avait eu le don qu’on attribue à la baguette de Jacques Aymar (H), il aurait pu faire de grands biens au monde, et ne pas craindre le reproche d’inutilité qu’Origène lui a fait[d]. Mais on vient[e] d’apprendre (I) que le règne de cette baguette a été fort court, et qu’il a enfin trouvé son heure fatale à l’hôtel de Condé, à Paris.

  1. Voyez la remarque (C), vers la fin.
  2. Strabo, lib. VII, pag. 208.
  3. Casauboni Notæ in Strabon., lib. VII, pag. 1137.
  4. Origenes contra Celsum, lib. III, pag. 129.
  5. On écrit ceci l’an 1693.

(A) Scythe de nation. ] C’est Suïdas qui lui donne cette qualité, et qui remarque fort distinctement qu’il vint de Scythe en Grèce, et qu’avec la flèche dont Apollon lui fit présent, il vola de Grèce jusques au pays des Scythes hyperboréens. Τοῦτου ὁ μυθολογούμενος ὁϊςὸς τοῦ πετομένου ἀπὸ τῆς Ἑλλάδος μέχρι τῶς Ὑπερϐορέων Σκυθῶν. Ἐδόθη δὲ αὐτῷ παρὰ τοῦ Ἀπόλλωνος[1]. Hujus illa fabulis celebrate sagitta volantis ex Græciâ, (et non pas ex Scythiâ, comme on lit dans la traduction ordinaire) usque ad hyperboreos Scythas. Eusèbe le fait aussi venir de Scythie en Grèce[2]. Si l’article d’Abaris n’était pas en désordre dans Suïdas, on en pourrait légitimement conclure que l’auteur y a désigné trois sortes de régions : la Scythie, où Abaris était né ; la Grèce, où il alla faire un voyage ; et une autre Scythie, où il fit aussi un voyage ; c’était celle des Hyperboréens. On pourrait d’ailleurs en conclure qu’il ne se servit du vol de sa flèche que dans son second voyage, et par conséquent que ce fut en Grèce qu’Apollon la lui donna. Toutes ces conséquences seraient justes si l’on avait affaire à un écrivain exact, ou si l’on était assuré qu’il a dit les choses telles qu’on les voit aujourd’hui dans ses ouvrages ; et alors il faudrait dire que Suïdas a suivi une opinion très-particulière ; car presque tous les auteurs qui nous parlent d’Abaris assurent qu’il était Hyperboréen[3], et que, lorsqu’il fit le voyage de Grèce, il était parti du pays des Hyperboréens ; et s’ils parlent de sa flèche volante, ils ne manquent pas de dire qu’il l’avait avant que d’aller en Grèce.

(B) Était porté sur sa flèche au travers de l’air. ] Les paroles de Jamblique expriment cela fort nettement. Ὀϊςῷ τοῦ ἐν Ὑπερϐορέοις Ἀπόλλωνος δωρηθέντι αὐτῷ ὲπoχούμενος, ποταμούς τε καὶ πελάγη καὶ τὰ ἄϐατα διέϐαινεν ἀεροϐατῶν τρόπον τινα[4]. Cùm Apollini, ejus qui ab Hyperboreis colebatur, jaculo sibi donato inequitaret, fluvios et maria, ac loca inaccessa per aërem quodammodò incedens permeabat. M. Petit, en rapportant ce qui concerne cette flèche, s’est souvenu de ce qu’on débite ordinairement, que les sorcières vont au sabbat à cheval sur un bâton [5]. L’un des journalistes, en faisant l’extrait du livre de M. Petit, n’oublia pas les vers de Villon, où un sorcier est appelé un chevaucheur d’escouvettes [6]. Je rapporterai tout le passage, parce qu’il donne lieu à une petite observation. M. Petit nous allègue les ravissemens d’Élie, le transport d’Habacuc, celui de Pythagoras, et le dard qu’Apollon l’Hyperboréen avait donné à Abaris. C’était un dard merveilleux et fort semblable à ce manche de balai qui sert de cheval aux sorcières, à ce qu’on dit, pour s’en aller

  1. Suïdas, au mot Ἀϐαρις.
  2. Eusebii Chronic. n. 1454.
  3. Herodot. lib. IV, cap. XXXVI ; Diod. Sicul., lib. III, cap. XI ; Apollonii Admir. Histor., sect. IV ; Jamblichi Vita Pythagoræ, cap. XXVIII, pag. 127 et seq. ; Harpocration, au mot Ἀϐαρις. Scholiastes Aristophan. in Equit. ; Eusebius, n. 1568, etc.
  4. Jamblich, Vita Pythagoræ, pag. 128.
  5. Petitus, de Sibyllâ, lib. II, cap. VII, pag. 200.
  6. Non est, le deust-on vif brusler,
    Comme un chevaucheur d’escouvettes.