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ABARIS.

tres hommes ne lui causaient nul retardement. Cette flèche avait appartenu à Apollon ; et c’était apparemment avec celle-là qu’il avait tué les Cyclopes, fabricateurs de la foudre dont Jupiter s’était servi contre le pauvre Esculape[a]. Apollon, après cette tuerie, ayant caché son dard sous une montagne, au pays des Hyperboréens, le recouvra d’une façon toute merveilleuse ; car les vents le lui reportèrent dès que Jupiter se fut apaisé envers lui[b]. Ce n’est pas une petite affaire que de savoir en quel temps Abaris vivait (C) : il y a là-dessus une grande variété de sentimens qui a fait broncher quelques modernes (D). Il semble qu’il y ait moins de discorde sur l’occasion qui l’engagea à sortir de sa patrie, afin de voyager par le monde. Une grande peste, dit-on[c], ravageant toute la terre, on n’eut point d’autre réponse d’Apollon, si ce n’est que les Athéniens feraient des vœux pour toutes les autres nations. Cela fit que divers peuples envoyèrent des ambassadeurs à Athènes, et que l’Hyperboréen Abaris fut un de ces ambassadeurs. Il était déjà assez vieux ; et, comme il s’en retourna en son pays afin de consacrer à Apollon l’Hyperboréen, dont il était prêtre, l’or qu’il avait ramassé[d], on pourrait prétendre qu’une collecte pieuse fut l’un des motifs de son voyage de Grèce. Il renouvela, pendant ce voyage, l’alliance des Hyperboréens et des habitans de l’île de Délos[e]. Il se mêlait de prédire l’avenir ; et comme il semait ses prophéties partout où sa vie vagabonde le conduisait, on aurait pu l’appeler un oracle ambulatoire (E). Quelques-uns disent que ce fut lui qui fabriqua le Palladium (F), ce gage fatal de la conservation des villes qui le possédaient, et qu’il le vendit aux Troyens. Il le fit des os d’un homme[f], matière dont je ne pense pas que les faiseurs de talismans se servent jamais. On prétend qu’il pouvait prédire les tremblemens de terre, chasser la peste, et apaiser les tempêtes (G) ; et qu’il fit des sacrifices dans Lacédémone qui eurent tant d’efficace, que ce pays-là, fort exposé à la peste, n’en fut depuis jamais affligé[g]. Il composa beaucoup de livres[h] ; l’Arrivée d’Apollon au pays des Hyperboréens ; les Noces du fleuve Hébrus ; une Théogonie où il expliquait la génération des dieux ; un Recueil d’Oracles, et un autre de Conjurations, ou d’exorcismes, ou, si l’on aime mieux[i], de prières expiatoires. Tous ces ouvrages étaient en prose, excepté le premier. Ceux qui auraient toute la harangue du sophiste Himérius, de laquelle Photius nous a conservé un morceau[j], connaîtraient mieux qu’on ne le peut faire par ce fragment-là, si les

  1. Hygin. Astr. Poët., lib. II, cap. XV, pag. 386.
  2. Id. ib.
  3. Harpocration, au mot Ἄϐαρις.
  4. Jamblichi Vita Pythag., cap. XIX, Spanheimii Notæ in Callimach., pag. 490.
  5. Diodor. Sicul., lib. II, cap. XLVII, pag. 126.
  6. Savoir, de Pélops.
  7. Jamblich. ubi suprà, cap. XIX, pag. 93 ; et cap. XXVIII, pag. 131. Appollonius, etiam ubi suprà.
  8. Suidas, au mot Ἄϐαρις.
  9. Le mot grec dans Suidas est ϰαθασμούς.
  10. Photii Bibliotheca, pag. 1136.