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ALCMÈNE.

Sosie, valet d’Amphitryon, s’avisa d’une remarque digne de lui, quand il s’aperçut que la nuit durait plus qu’à l’ordinaire. Il félicita les galans qui n’avaient pas eu bon marché de leur proie.

Ubi sunt isti scortatores, qui soli inviti cubant ?
Hæc nox scita’st exercendo scorto conducto malè[1].

(D) Elle était encore fille. ] Apollodore raconte qu’Électryon, allant venger la mort de ses fils, mit son royaume et sa fille Alcmène entre les mains d’Amphitryon, après l’avoir fait jurer qu’il se contiendrait envers Alcmène jusqu’à son retour[2]. Amphitryon, l’ayant tué par mégarde peu après, fut obligé de chercher une retraite. Il se retira dans la Béotie avec Alcmène ; et, parce qu’elle déclara qu’elle épouserait celui qui vengerait la mort de ses frères, il s’engagea à poursuivre cette vengeance ; et, s’associant avec d’autres, il porta la guerre chez les Téléboes qui avaient tué les frères d’Alcmène[3]. De retour à Thèbes, victorieux et triomphant. il apprit qu’un autre lui-même avait couché avec cette dame. Il est visible que ce ne fut point lui qui eut la première faveur : Alcmène avait différé sans doute la cérémonie des noces, la consommation pour le moins de son mariage, jusqu’à ce qu’Amphitryon eût vaincu les Téléboes. Jupiter sachant qu’Amphitryon revenait, et que, pour cueillir cette fleur de virginité il n’y avait point d’autre temps à prendre que celui qu’Amphitryon emploierait à son voyage, le prima, et fit avant l’arrivée du mari ce qu’il y avait à faire. Apollodore ajoute qu’Amphitryon, ayant couché avec Alcmène, lui fit un enfant, qui fut plus jeune d’une nuit qu’Hercule, Ἀλκμήνη δὲ δύο ἐγέννησε παἶδας. Διί μὲν Ἠρακλέα, μιᾷ νυκτί πρεσβύτερον, Ἀμϕιτρύωνι Ἰϕικλέα.[4]. Alcmena verὸ duos peperit filios : Jovi quidem Herculem unâ nocte grandiorem, atque Amphitryoni Iphiclem. Nouvelle confirmation de ce que j’ai à prouver. Le scoliaste d’Homère est plus précis qu’Apollodore : il dit nettement que le mariage ne se fit qu’après le retour d’Amphitryon[5]. Dans la comédie de Plaute, les choses vont autrement. Amphitryon y laisse sa femme grosse en s’en allant à la guerre[6]. Grand ragoût pour Jupiter ! Ce serait bien pis, si Plaute avait observé l’unité de temps comme le veut mademoiselle le Fèvre. Il faudrait dire, en ce cas-là, qu’en arrêtant le soleil Jupiter interrompit tout le cours de la nature, afin de se divertir plus long-temps avec une femme grosse de deux enfans, et si proche de son terme, que pour peu qu’il eût différé sa retraite, la sage femme aurait été obligée de lui dire, cédez-moi la place. C’est une fâcheuse alternative pour Plaute : il faut, ou que sa pièce dure plusieurs mois, ou qu’il fasse d’une femme toute prête d’accoucher de deux jumeaux, un des plus friands morceaux du monde pour le plus grand de tous les monarques ; et cela, en supposant que ce maître des Dieux et des hommes a déjà produit l’un de ces jumeaux. Prenez bien garde que ce poëte ne feint pas que Jupiter se déguisa en Amphitryon, pour venir en bon mari au secours d’Alcmène pendant le travail d’enfant : c’était la visite d’un homme bien amoureux. Voici comme parle Mercure dans le prologue :

Et meus pater nunc intùs hic cum illâ cubat ;
Et hæc ob eam rem nox est facta longior,
Dùm ille quâ cum volt voluptatem capit.


Et pour ce qui est de ces paroles de Sosie,

Hæc nox scita’st exercendo scorto conducto malè[7],


voici comme il les relève :

Meus pater nunc pro hujus verbis rectè et sapienter facit.
Qui complexus cum Alcumenâ cubat amans animo obsequens.


Il se félicite d’avoir écarté tout ce qui pouvait interrompre la joie de Jupiter, et il se prépare à continuer ses bons offices, jusqu’à ce que le galant n’en veuille plus.

Benè et prosperè hoc hodiè operis processit mihi :

  1. Plauti Amphitr., act. I, sc. I, vers. 131.
  2. Apollod, Bibliot., lib. II, pag. 99.
  3. Ibidem, pag. 101.
  4. Idem, pag. 103.
  5. Schol. Homeri in Iliad. XIV, vs. 323.
  6. Gravidam ego illam hìc reliqui cùm abeo.
    Plautus, Amphitr., act. II, sc. II, vs. 35.

    Et cùm te gravidam, cùm pulchrè plenam adspicio, gaudeo.

    Ibid. vs. 49.

    Mercure avait assuré le même fait dans le prologue.

  7. Plaut. Amphitr., act. I, sc. I, vs. 132.