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ALCÉE.

adhérens, qu’on avait bannis[a]. D’autres veulent qu’ayant abusé de la clémence de Pittacus, et n’ayant point cessé de cabaler et d’invectiver, on cessa d’user de support à son égard[b] ; et que c’est ce qu’Ovide a voulu signifier par ces paroles :

Utque lyræ vates fertur periisse severæ,
Causa sit exitii dextera læsa tui.


Cela est d’autant plus vraisemblable, qu’Alcée passait pour un homme qui s’opposait aux innovations, non pas parce que c’étaient des innovations, mais parce que d’autres que lui les introduisaient [c]. C’est un défaut qui lui est commun avec bien des gens. Il ne nous reste que des lambeaux de ses poésies.

  1. Dionys. Halicarn. Ant. Rom., lib. V, cap. LXXXII.
  2. Vide Dionys. Salvagnium Boessium, Comment. in Ibin, pag. 102 et 103. Edit. in-4°.
  3. Οὐδ᾽ αὐτὸς καθαρεύων τῶν τοιούτων νεωτερισμῶν, Ne ipse quidem purus studii ejusmodi novandarum rerum. Strabo, lib. XIII, pag. 425.

(A) La Chronique scandaleuse, etc. ] J’ai rapporté les propres paroles de M. le Fèvre, et je suis fort trompé s’il a pris ailleurs que dans la Rhétorique d’Aristote ce petit conte. Aristote cite ces mots d’Alcée :

Θέλω τὶν εἰπεῖν. ἀλλά με κωλύει
Αἰδώς,


et cette réponse de Sappho :

Αἰ δ᾽ ἷκέ σ᾽ ἐσλῶν ἵμερος, ἢ καλῶν,
Καὶ μή τι εἰπειν γλᾶσσ᾽ ἐκύκα κακὸν,
Αἰδώς κε νυ σ᾽ οὐχ εἶχεν ὄμματ᾽,
Ἄλλ᾽᾽ ἔλεγες περὶ τῶ δικαίω[1].


Voici le sens de ces vers. Alcée déclare qu’il voudrait bien dire quelque chose ; mais que la honte l’en empêche. Sappho lui répond que s’il avait désiré des choses bonnes et honnêtes, et si sa langue n’eût pas été prête à prononcer quelque malhonnêteté, la honte ne lui serait point montée au visage, et qu’il ferait une proposition raisonnable. Ceux à qui il est donné de juger des livres de M. le Fèvre, gens, comme il a dit dans sa première Journaline, qui ont l’âme capable de plusieurs formes, et qui sentent à demi-mot le beau et le fin des pensées et des expressions, voient bien que ces paroles d’Alcée sont une de ces déclarations d’amour qui demandent l’heure du berger, et que Sappho comprenait parfaitement ce qu’il voulait dire. Sa réponse est sage ; mais elle est peut-être d’un trop grand sang-froid, selon cette supposition.

(B) Il a avoué le malheur qui lui était arrivé de fuir[2] ] Celui de tous les poëtes latins, qui ressemble le mieux à Alcée, a confessé aussi-bien que lui dans ses poésies, qu’il s’était sauvé du combat, en jetant ses armes comme un meuble très-inutile à des fuyards :

Tecum Philippos et celerem fugam
Sensi, relictâ non benè parmulâ,
Quùm fracta virtus et minaces
Turpe solum tetigêre mento[3].


Archilochus avait eu la même aventure avant Alcée, et s’en était confessé publiquement [4]. Horace n’aurait pas été peut-être de bonne foi jusqu’à ce point, s’il n’avait eu ces grands exemples devant les yeux. Chabot se trompe quand il soutient que Plutarque a réfuté Hérodote sur la fuite d’Alcée [5]. Plutarque s’est contenté de dire qu’Hérodote a supprimé une belle action de Pittacus, mais non pas la mauvaise action d’Alcée[6]

(C) La personne qu’il aimait n’était que trop une aide semblable à lui. ] Horace nous apprend que la maîtresse d’Alcée était un garçon qui se nommait Lycus, et qui avait les yeux et les cheveux noirs :

Qui ferox bello, tamen inter arma,
Sive jactatam religarat udo
Littore navim,
Liberum et Musas, Veneremque et illi
Semper hærentem puerum canebat,

  1. Aristot. Rhetoric., lib. I, cap. IX. Notez que je range et que j’accentue ce grec comme Scaliger sur Eusèbe, pag. 65, édition de 1658.
  2. Herod., lib. V, cap. XCV ; et Strabo, lib. XIII, pag. 412, 413.
  3. Horat. Od VII, lib. II, vs. 9.
  4. Voyez la remarque (H) de son article.
  5. Chabot. in Horat. Od. XIII, lib. II.
  6. Plutarc. de Malign. Herodoti, pag. 858.