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ALBUTIUS.

qu’après son retour de Sardaigne, où il était propréteur en l’année 649. Voyez la remarque suivante. Peut-être que les copistes d’Apulée ont peu à peu, en passant de faute en faute, converti C. Julius, en C. Matius. Il est certain que C. Julius a été l’accusateur d’Albutius, et si Apulée l’avait nommé, il serait à cet égard dans l’exactitude ; mais on ne saurait le justifier en ce qu’il avance, que tous les accusateurs qu’il a nommés étaient de jeunes aventuriers qui cherchaient à signaler par quelque cause célèbre leur avénement au monde. Il emprunte de Cicéron tous ces exemples, comme l’illustre M. Grævius l’a judicieusement remarqué[1] : pourquoi donc les réduit-il tous à une espèce, puisque Cicéron en a fait diverses classes [2] ? N’est-ce point à cause qu’ils ne lui eussent de rien servi, s’ils eussent été divisés ? Voilà une cause très-féconde de la falsification des faits. Quand on ne les trouve pas tels qu’on les souhaite, on leur donne, en les alléguant, le pli et l’entorse dont on a besoin.

(D) Il fut banni. ] Nous ne trouvons point cela aux mêmes endroits de Cicéron où il est parlé du procès d’Albutius, et il ne faut point s’en étonner ; car, quand on ne fait point la vie d’un homme, on se contente de dire de lui ce qui concerne le sujet présent. Lorsque Cicéron a dit quelque chose du procès d’Albutius, il n’avait en vue que les personnes qui avaient parlé ou voulu parler contre l’accusé : il n’était donc pas nécessaire qu’il touchât à l’issue de cette cause. Lorsqu’il a parlé de l’exil d’Albutius, il n’avait en vue que de montrer le bon usage que l’on peut faire de l’exil ; il ne fallait donc pas qu’il remarquât pourquoi Albutius avait été exilé. C’est à nous à faire un tissu de ces différens passages ; et, par ce moyen, nous trouvons qu’Albutius, ayant été accusé de concussion, à la requête des habitans de Sardaigne, fut condamné et banni : Albutius cum in Sardiniâ triumphâsset, Romæ damnatus est[3]. Quid T. Albutius, nonne animo æquissimo Athenis exsul philosophabatur ? cui tamen illud ipsum non accidisset, si in republicâ quiescens Epicuri legibus paruisset [4]. M. Gassendi a très-mal cité ce passage, puisqu’au lieu de si in republicâ..….. paruisset, il a dit nisi in republicâ.….. paruisset[5] Ceux qui voudront quelque preuve de ce que j’ai dit qu’Albutius fut accusé à la requête des habitans de Sardaigne, n’auront qu’à lire ceci : Julius hoc secum autoritatis ad accusandum afferebat, quòd ut hoc tempore nos ab Siculis, sic tùm ille ab Sardis rogatus ad caussam accesserat[6]. Joignez à cela ces paroles du chapitre XVI du IIe. livre des Offices : Aut patrocinio, ut nos pro Siculis, pro Sardis Julius. C’est ainsi qu’il faut lire avec Lambin, ou pro Sardis, contra Albutium Julius, avec Manuce. Consultez Suétone [7].

(E) La plaisanterie que lui fit Scevola fut une semence d’inimitié entre eux deux. ] C’est ce que Lucilius remarqua dans ses Satires : Hinc hostis Muti Albutius, hinc inimicus. Un savant homme a cru qu’ils étaient souvent appointés contraires, et qu’ils le furent nommément dans la cause de Granius, accusé par Albutius, et défendu par Mutius. Il dit que pour le moins Mutius eut beaucoup de joie de l’absolution de Granius. Il prouve cela par un passage de Cicéron, auquel il avoue que d’autres ont donné une explication différente ; savoir, qu’Albutius accusa Mutius de concussion : Sæpè inter se dissentirent et contenderent, ut quùm Albutius Granium oppugnabat, et Mucius eum defendebat, certè illo absolute gaudebat, ut libro secundo de Oratore scriptum videbis, quamvis aliter alii verba illa sint interpretati, et putârunt ipsum Scævolam ab Albutio de pecuniis repetundis accusatum fuisse, quòd ut nos de viro tali credamus adduci non possumus[8]. Je ne saurais m’accommoder, ni du sens que ce critique rejette, ni de celui qu’il approuve. J’aimerais mieux croire que Cicéron a

  1. Grævius, Notis in Cicer. de Offic., lib. II, cap. XIV.
  2. Il donne son accusation contre Verrès pour un exemple : il n’a donc point prétendu citer seulement ceux qui avaient accusé dans leur première jeunesse.
  3. Cicero in Pison., cap. 38.
  4. Idem, lib. V. Tusculan., cap. 37.
  5. Gassendi, de Vitâ Epic., lib. II, cap. VI, pag. 188, in-folio où les Citations ne marge vont très-mal.
  6. Cicero, Divination. in Verrem, cap. 10.
  7. Sueton. in Julio, cap. 55.
  8. Corradus in Brutum Cicer., pag. 189.