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ALBUTIUS.

butius était un épicurien passionné [a], et qu’il aurait été meilleur orateur s’il avait eu moins d’attachement à la secte d’Épicure[b] ; 2°. qu’il entendait bien l’érudition grecque[c], et qu’il avait publié quelques Harangues [d] ; 3°. qu’il avait été dans les charges de la république ; qu’il avait gouverné la Sardaigne en qualité de propréteur [e], et qu’il n’obtint point du sénat la procession (B) qu’il avait demandé qu’on fit en action de grâces aux Dieux pour ses exploits ; qu’il fut accusé de concussion (C) et banni (D) ; et qu’il s’en alla philosopher à Athènes [f]. La plaisanterie de Scévola fut une semence d’inimitié entre eux deux (E). Les dictionnaires ne sont pas ici exempts de fautes (F). Je ne crois pas que notre Titus Albutius soit le même que celui dont parle Horace (G) dans la IIe. satire du IIe. livre. On ne trouve rien de ce médecin Albutius, qui est mis par Pline au nombre des plus célèbres[g].

  1. Idem, lib. I de Naturâ Deorum, c. 33.
  2. Idem, in Bruto, cap. 26 et 35.
  3. Cicero in Bruto, d. I.
  4. Ibid.
  5. Idem, de Provinc. Consular., cap. 7, et in Pisonem, cap. 38.
  6. Cicero, Tuscul. V, cap. 37.
  7. Plinius, lib. XXIX, cap. I.

(A) Son goût pour les manières grecques donna lieu à une plaisanterie de Scévola. ] Elle consistait en ce que, quand il recevait visite d’Albutius à Athènes, il le saluait en grec, et le faisait saluer en la même langue par tout son monde. On ne peut sentir le ridicule qu’il y avait là-dedans, si l’on ne songe à l’action même. Voici comment Cicéron s’exprime : Res verò bonas verbis electis graviter ornatèque dictatas quis non legat ? nisi qui se planè græcum dici velit, ut a Scævolâ est prætor salutatus Athenis Albutius Quem quidem locum cum multâ venustate et omni sale idem Lucilius, apud quem præclarè Scævola :

Græcum te, Albutî, quam Romanum atque Sabinum
Municipem Pontî, Tritanni, centurionum
Præclarorum hominum ac primorum, signiferùmque,
Maluisti dici. Græcè ergò Prætor Athenis,
Id quod maluisti, te, cùm ad me accedi’ saluto :
χαρῖε, inquam, Tite : lictores, turma omni’, cohorsque,
χαρῖε. Hinc hostis Mutî Albutius, hinc inimicus[1].


Voilà Cicéron qui dit positivement qu’Albutius était alors préteur à Athènes, et néanmoins les vers de Lucilius témoignent qu’Albutius, faisant des visites à Scévola, était salué en grec, et avec des airs moqueurs qui le piquèrent, et qui le rendirent ennemi de Scévola. N’est-il pas clair comme le jour que, selon Lucilius, c’était Scévola, et non pas Albutius qui exerçait la préture ? Si Albutius eût été préteur, il eût reçu et non pas fait les visites ; et s’il en eût fait, on n’aurait pas osé les recevoir avec des plaisanteries piquantes. Je m’étonne donc, ou que Cicéron ait donné la préture à Albutius, ou que, s’il l’a donnée à Scévola, comme il est très-apparent, on n’ait pas corrigé la faute qui s’est glissée dans les éditions. Il faudrait lire, ut à Scævolâ est prætore salutatus Athenis Albutius[2], et non pas, ut à Scævolâ est prætor salutatus Athenis Albutius. M. Dacier cite ces vers de Lucilius, et les traduit de telle sorte, qu’il déclare que Scévola était préteur à Athènes lorsqu’il se moquait d’Albutius qui lui allait faire sa cour[3]. Corradus estime qu’Albutius étudiait à Athènes, et que Scévola y passa, en faisant le voyage de Rhodes, dont il est parlé dans le premier livre de l’Orateur[4].

(B) Il n’obtint point du sénat la procession, etc. ] Cicéron parle de cela afin d’ôter aux amis de Gabinius et de Pison la consolation qu’ils en tiraient. Il leur fait voir que les choses n’étaient point pareilles : Hâc consolatione utun-

  1. Cicer. de Finib., lib. I, cap. III.
  2. Corradius, in Brutum Cicer., pag. 189, veut que l’on corrige ainsi. D’autres Critiques sont du même sentiment. Voyez le Cicéron de M. Gronovius.
  3. Dacier sur Horace, Satire II, liv. II, pag. 121, édition de Hollande.
  4. Corrad. in Brutum Ciceronis, pag. 189.