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AGUIRRE.

imprimé à Liége, et attribué à monsieur le cardinal d’Aguirre, et à monsignor Cazzoni. Et voici comment il parle dans la page 184 : L’auteur du Traité de Libertatibus Ecclesiæ Gallicanæ, ou plutôt les auteurs ; car j’apprends qu’ils sont plusieurs qui ont travaillé à cet ouvrage, et que tous les docteurs romains y ont épuisé toute leur science, quoique ce soit un très-médiocre ouvrage : ces auteurs, dis-je, soutiennent, etc. Mais voyons un peu ce que dit l’auteur de la Lettre d’un abbé à un prélat de la cour de Rome sur le décret de l’inquisition du 7 décembre 1690, contre trente-une propositions. « Nous-mêmes[1], dans nos assemblées, nous n’avons pas seulement la liberté de proposer ce que nous jugerions d’avantageux pour notre cause. Vous savez à qui il tient. C’est ce qui a fait qu’un des livres qui aurait dû être plus fortement réfuté par nos théologiens, et même flétri par une censure épiscopale, court la France impunément, et que ceux qui en suivent les sentimens le répandent et en font partout l’éloge, se vantant qu’on n’a osé y répondre. Il me nomma aussitôt le livre de Libertatibus Ecclesiæ Gallicanæ, qui est un in-4o., dont l’auteur n’est pas si inconnu qu’il s’imagine. C’est une chose honteuse, continua-t-il, que le clergé de France souffre, sans dire mot, que cet auteur, qui est un religieux Français, enseigne une doctrine que nous tenons tous comme hérétique ; car il soutient tout franc que nous n’avons pas de droit divin notre juridiction épiscopale. » L’anatomie de la sentence contre le père Quesnel m’apprend[2] que le livre de Libertatibus Ecclesiæ Gallicanæ fut composé à Rome, à l’instance des ministres du saint siége, et imprimé par leur ordre et par les soins de M. l’internonce de Bruxelles, dans Bruxelles même, quoique sous le nom de Liége. Mais, si le cardinal d’Aguirre n’est pas l’auteur de ce traité-là, il est toujours vrai qu’il a écrit contre les décisions de l’assemblée de 1682. La lettre qu’on vient de citer, me l’apprend d’une manière qui mérite d’être rapportée, afin que mon lecteur sache le jugement que l’on fait en France du livre de ce cardinal : « À peine nos quatre articles eurent-ils paru, ajoute-t-on[3], qu’une foule d’écrivains s’élevèrent pour les combattre ; et à peine s’est-il trouvé quelqu’un en France qui ait pris la plume pour les défendre. Je ne dis pas que les ouvrages qui les combattent soient formidables. Ils font pitié la plupart ; mais ils ne laissent pas de faire du mal dans les pays où l’on est déjà disposé en faveur de la doctrine qu’ils défendent... Et enfin, les récompenses éclatantes dont la cour de Rome sait payer le zèle de ceux qui se déclarent pour elle, donnent du prix et du lustre aux ouvrages les moins considérables et les plus obscurs. N’est-ce pas par-là que le cardinal d’Aguirre est devenu ce qu’il est, de moine espagnol qu’il était auparavant ? L’abbé de Saint-Gal n’avait-il pas été nommé à un évêché, et n’avait-on pas dessein de le faire cardinal[4], pour récompense d’un ouvrage fait contre les quatre articles, aussi-bien que celui du cardinal d’Aguirre ? Au reste, trois ans avant que la lettre d’où ce passage est tiré fût imprimée, on s’était plaint publiquement[5] de ce que les pensionnaires du clergé laissaient le Tractatus de Libertatibus Ecclesiæ Gallicanæ sans y répondre. L’Histoire des Ouvrages des Savans nous a appris[6], que l’auteur de ce Tractatus est un prêtre français, nommé Antoine Charlus, réfugié à Rome à cause de la régale. Peut-être le faudrait-il appeler Charlas[* 1] ; car apparemment, il est de la même famille qu’un religieux de ce nom, natif de l’Ile-en-Jourdain[7], mort dans son exil, après avoir souffert plusieurs disgrâces pour les affaires de l’évêque de Pamiers[8].

  1. * La conjecture de Bayle sur ce nom est juste. Joly dit que ce prêtre s’appelait Antoine Charlas ; qu’il était prébendier à Conserans, et mourut en 1698.
  1. C’est un évêque que l’on fait parler, p. 59.
  2. Pages 76, 77.
  3. Lettre d’un Abbé à un Prélat, pag. 55, 56.
  4. Il le fut fait l’an 1696. Il s’appelait Sfondrate. Il mourut quelque temps après.
  5. Dans les Sentimens d’Érasme, publiés à Cologne, l’an 1688, pag. 155.
  6. Dans le mois de mai 1696, pag. 426.
  7. Au diocèse de Toulouse.
  8. François de Caulet.