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AGRIPPA.

dans les Lettres d’Agrippa certaines choses qui me persuadent qu’il ne fut point du sentiment de Crammer. L’ambassadeur de sa majesté impériale à Londres[1] écrivit à Agrippa le 26 de juin 1531, pour l’exhorter à soutenir les intérêts de la reine[2], et le fit souvenir d’un endroit de la Vanité des Sciences qui censure Henri VIII : Hodiè adhuc nescio cui regi persuasum audio, ut liceat sibi jam plus viginti annorum uxorem dimittere, et nubere pellici[3]. Agrippa fit réponse, que de bon cœur il s’engageait à cette entreprise, pourvu que l’empereur lui expédiât, ou ses ordres, ou sa permission. Il marqua très-fortement qu’il détestait ces lâches théologiens qui approuvaient le divorce ; et voici ce qu’il dit touchant la Sorbonne : Non est mihi incognitum queis artibus res hæc apud Parisiorum Sorbonam tractata est, quæ cæteris tanti sceleris ausum temerario porrexit exemplo. Vix me continere queo, quin imitatus poëtam illum exclamem : Dicite, Sorbonici, in theologiâ quid valet aurum ? Quantùm pietatis et fidei illorum pectore clausum putabimus, quorum venalis magis quàm sincera conscientia est, qui extimescendas universo orbi christiano determinationes auro venales fecerunt, ac servatam tot annis fidei et sinceritatis opinionem nunc tandem extremâ avaritiæ infamiâ corruperunt [4] ? Il ne laisse pas de représenter le péril où il s’exposerait en écrivant contre un divorce que tant de théologiens avaient approuvé : gens, dit il, qui me veulent beaucoup de mal à cause de ma Vanité des Sciences. L’ambassadeur revint à la charge, lui fit espérer que la reine d’Angleterre écrirait, ou à l’empereur, ou à la reine de Hongrie, touchant l’ordre d’écrire sur cette matière, et lui expliqua pourquoi Érasme, Vivés, et les autres bonnes plumes du temps, ne devaient pas être choisis aussitôt que lui[5]. Agrippa se comptait pour engagé à cet ouvrage ; car dans la lettre qu’il écrivit à la reine de Hongrie, après qu’il se fut retiré à Bonn, il représente comment il donnait toutes ses veilles à son emploi d’historiographe, quoiqu’il n’en eût encore retiré aucun profit. Je ramasse des mémoires, dit-il, pour l’histoire de la guerre d’Italie et de Hongrie ; et outre cela, j’ai un plus grand dessein en tête, c’est d’écrire pour la reine Catherine votre tante. Voici ses propres termes : Sed longè majus his negotium pro vestri sanguinis decore, pro tuâ, inquam, materterâ Angliæ celebratissimâ reginâ meis humeris impositum suscepi, in quo licet multi hactenùs operam suam collocârunt, nullus adhuc nodum rei dissecuit [6]. Je ne pense pas que ce dessein ait jamais été exécuté : l’auteur, en disgrâce à la cour impériale, trouva bon sans doute de ne se pas exposer à l’indignation du roi d’Angleterre. Si Crammer l’avait gagné[* 1], il faudrait qu’il eût fait cette conquête pour le plus tôt en l’année 1532 : et si Robert Wakfeld publia son livre avant l’année 1532[7], il est sûr que le traité qu’il réfute, et qui passait pour être de Vivès ou d’Agrippa, n’est nullement d’Agrippa. Notez que Sandérus, qui nomme plusieurs auteurs qui écrivirent contre le divorce [8], ne parle point de ce dernier.

  1. (*) Agrippa ne s’était pas encore laissé gagner en 1533, temps auquel, si je ne me trompe, il publia son Apologie contre les Docteurs de Louvain ; et il n’a pu le faire depuis, sans la même honteuse prévarication qu’il y reproche à la Sorbonne. Eodem, y dit-il, parlant de ce corps fameux, his recentibus annis determinavit, Papam non posse dispensare ut frater ducat uxorem fratris mortui sine liberis, atque proptereà matrimonium inter Angliæ Regem et Cæsaris amitam, velut contra jus naturale et divinum, indispensabile, pro incestuoso, abominabili, et sacrilego adulterio damnârunt, magnâ Sorbonæ infamiâ. Cùm non multis annis ante pro Augustino Furnario Civi ac Patricio Genuensi determinavissent oppositum. [Agrippæ Apolog., etc., cap. 2.] Ce n’est pas, au reste, dans la seule édition de 1536 que se trouve le passage que, sous la Lettre X, Crénius remarque avoir été retranché du Traité de la Vanité des Sciences dans l’édition de Lyon. Ce passage reparaît encore dans l’édition de 1539, et on le trouve dans toutes les précédentes éditions de ce Traité. Rem. crit.

    ri VIII, tom. II, pag. 116. Voyez aussi tom. I, pag. 249.

  1. Il est nommé dans les Lettres d’Agrippa, Eustochius Chapusius, et dans celles d’Érasme, Eustathius Chapusius.
  2. Agrip., Epist XIX libri VI, pag. 973.
  3. Agrip. de Vanitate Scientiar., cap. LXIII, pag. 124.
  4. Agrippa, Epist. XX libri VI, pag. 974.
  5. Epist. XXIX libri VI, pag. 986. Vide etiam Epistol. XXXIII, pag. 996.
  6. Epist. XXI libri VII, pag. 1024.
  7. M. le Grand, tom. I, pag. 249, dit que cet Ouvrage est intitulé, Cotzer. Or, selon le Catalogue d’Oxford, pag. 246, le Cotzer fut imprimé à Londres, l’an 1527.
  8. Sanderi Hist. Schismatis Angliæ.